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Trucs et inspirations

Les apps de calcul des calories, ou comment se magasiner un trouble alimentaire

Elles affichent rapidement leurs couleurs et leur philosophie : « Ceci n'est pas une diète, c'est un changement de mode de vie! »; « Ici, on vise les changements à long terme, pas la restriction ». Elles parlent ensuite du lien entre la santé, l'apparence corporelle et le poids. Leur message : on tient à nous rassurer qu'on n'entame pas un régime, mais bien qu'on change notre vie! 

On se fait miroiter l'espoir d'une perte de poids facile ou d'un six pack à portée de main. Toujours sous le couvert de la santé, bien sûr... Qu'en est-il vraiment, de ces applications de calcul des calories?

Voici la transcription d'une conversation que j'ai avec mes clients chaque jour.

Client.e: Bon là Nic (oui certains clients m'appellent Nic, j'ai abandonné ce combat depuis longtemps), dis-moi c'est quoi mes macros et mes calories.

Moi: Tu veux que je te dise combien tu as besoin de manger chaque jour, c'est ça?

Client.e : Exact. Parce que là j'ai téléchargé l'app MyFitPal et ça fait une semaine que j'entre tout ce que je mange, donc je veux savoir c'est quoi mon objectif!

Moi: Intéressant. Comment prévois-tu utiliser cette information et cette app?

Client.e : Ben... je veux perdre du poids là. Tu vois ben que j'ai du poids à perdre.

Moi : Ok, j'ai 2-3 choses à te partager. Attache ta tuque!

Les apps fitness : à quoi s'attendre

Parsemés savamment à travers les questions qui nous sont posées pour mieux cerner notre profil, on trouve les arguments de vente des applications. Au menu :

  • Statistiques irréfutables
  • Pourcentages prometteurs
  • Graphiques faciles à comprendre
  • Témoignages de clients satisfaits

C'est de la science dans le fond, rien de douteux à signaler...

Pour nous donner l'impression de choisir, l'application nous demande ensuite notre poids idéal, en recommandant un intervalle. Elle prend toutefois soin de ne pas inclure notre poids actuel dans l'intervalle proposé. Après tout, quel humain étrange voudrait améliorer ses habitudes alimentaires sans désir de perte de poids?

Finalement, l'application nous affiche un bouton sur lequel on peut cliquer pour voir le poids qu'elle calcule qu'on pourrait perdre si on lui obéit au doigt et à l'œil. En cliquant sur «voir mon résultat», on consent aux conditions de service. Et c'est parti, perdons du poids maintenant!

Juste d'écrire ceci me fait rire, mais en même temps, c'est triste. Et malheureusement, l'expérience est la même d'une application à l'autre. 

Adapter notre alimentation à une app

On a désormais notre objectif de poids idéal et nos cibles en calories, protéines, glucides et lipides. Maintenant quoi?

C'est satisfaisant de voir ces chiffres. On sait enfin combien on doit manger chaque jour. On s'est toujours dit qu'on devait trop manger, mais on a maintenant la preuve chiffrée.

À ce point-ci, on distingue déjà très bien l'approche d'une application de celle d'un.e professionnel.le de la santé.

D'un côté, une intelligence artificielle donnera des chiffres, listera le contenu en calories et en nutriments de quelques aliments courants, puis nous laissera le devoir de manger exactement selon l'objectif déterminé. « Humain, tu dois manger XYZ calories. Si tu ne réussis pas à atteindre cet objectif, c'est de ta faute. Moi je t'ai donné le chemin à suivre. » La seule question qu'on est amené à se poser est « Quels aliments vont "fitter dans mes macros"? ». 

À l'opposé, les nutritionnistes sont plus dérangeants. Au lieu de donner des balises fixes, ils posent des questions. Par exemple :

  • Que voyez-vous comme bénéfices à la perte de poids?
  • Quel est votre avis sur la culture des diètes?
  • Vous voyez-vous comptabiliser chaque bouchée pour l'entrer dans une application?
  • Comment entrevoyez-vous les répercussions de ne pas respecter ce que l'application dicte?
  • Avez-vous entrepris une diète restrictive dans le passé? Comment votre santé physique et mentale ont-elles réagi?
  • Comment qualifiez-vous votre relation avec la nourriture?

Bref, des questions dérangeantes qui, pour certains, rendent plus sexy l'idée de se faire dire quoi faire par un robot plutôt que de remettre en question les piliers de leur alimentation. Et on ne peut en vouloir à personne. C'est libérateur de se faire dire quoi faire sans avoir à effectuer une réflexion trop profonde.

Au final, ça «marche»?

Avant de plonger dans l'univers des applications, ça peut être pertinent d'explorer leurs retombées réelles.

Si l'objectif est de perdre du poids, les résultats sont difficiles à trouver. Les applications n'hésitent pas à montrer ce qui les avantage, mais leurs études s'échelonnent généralement sur 6 mois ou moins. Sur le long terme, c'est-à-dire plus d'un an, on ne constate pas de changement significatif du poids.

Ce qui s'y rapproche le plus est l'augmentation du niveau d'activité physique qui a été observée suite à une intervention de 8 semaines auprès de 60 participants.

Il semble donc y avoir anguille sous roche...

Impacts sur la santé mentale

Là où la science arrive à un consensus, c'est sur l'impact des applications sur la santé mentale. Comment les applications altèrent-elles notre relation à la nourriture? En envoyant de la rétroaction au fil de la journée. Une psychologue a d'ailleurs analysé les messages automatisés que les applications envoient aux utilisateurs. Résultat : plus on entre de calories dans l'application, plus le feedback est négatif, plus l'application nous fait sentir coupable de continuer à manger.

Par exemple, une étude américaine a montré en 2017 que parmi les 105 participants étudiés (tous étaient des étudiants et souffraient d'un trouble alimentaire), 75% utilisaient MyFitnessPal (MFP), une application de calcul des apports alimentaires. De ceux-ci, 73% mentionnaient que l'application contribuait à leur trouble alimentaire.

Cette tendance touche autant les femmes que les hommes. Une étude menée auprès de 122 hommes recrutés sur des médias sociaux reliés au fitness a montré que 56% avaient utilisé MFP. De ceux-ci, 40% disaient que MFP avait mené à des symptômes de troubles alimentaires. Par exemple, ils rapportaient :

  • Une pensée «tout ou rien»
  • Une préoccupation accrue en lien avec la forme physique et le poids
  • Le sentiment d'être contrôlés par l'app
  • Des épisodes d'hyperphagie (binge eating)
  • Une restriction alimentaire

Et la tendance se maintient. Pas plus tard qu'en 2019, sur 1357 adultes sondés, près de 40% utilisaient actuellement une application de comptage des calories. 

Semi-conclusion

En soi, les applications de perte de poids se présentent en surface comme un outil pour les individus soucieux de leur santé. Rien de mal. Toutefois, lorsque vues à travers la loupe d'une culture qui valorise certains types de corps plus que d'autres, elles contribuent à une certaine peur de la nourriture.

En quelque sorte, on nous dit : « Mange cette poutine et tu dépasseras ton objectif de calories. Dépasse ton objectif et tu pourrais devenir gros.se. Deviens gros.se et tu seras un échec. » 

Existe-t-il de bonnes options?

Parmi les apps qui combinent nourriture et fitness, certaines ont une vision plus douce et inclusive.

J'en ai d'ailleurs découvert une tout récemment qui sort du lot. Ceci n'est pas une publicité, mais bien une agréable découverte. Il s'agit de Nobs, une application créée par Lucy Mountain (certains reconnaîtront peut-être la reine des memes anti-diètes). Elle propose des recettes au lieu des plans alimentaires, met l'emphase sur la force au lieu de la perte de poids, et envoie de petites affirmations positives plutôt que des rappels qu'on a surpassé nos calories quotidiennes. L'abonnement est dispendieux, mais pour un support moral et des outils qui valorisent notre relation avec la nourriture et notre corps plutôt que le chiffre sur la balance, ça peut être une option assez cool.

Vraie conclusion

En somme, il faut être super vigilant lorsqu'on entre dans le monde des applications de perte de poids. Elles peuvent être inoffensives, mais elles peuvent aussi être vraiment dangereuses. Nous sommes tous des adultes capables de prendre nos propres décisions, mais je me propose comme cône orange humain pour vous avertir de faire attention si vous vous aventurez dans cette direction.

Prenez soin de vous!

Bibliographie

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DiFilippo, K. N., Huang, W. H., Andrade, J. E., & Chapman-Novakofski, K. M. (2015). The use of mobile apps to improve nutrition outcomes: a systematic literature review. Journal of telemedicine and telecare21(5), 243-253.

Levinson, C. A., Fewell, L., & Brosof, L. C. (2017). My Fitness Pal calorie tracker usage in the eating disorders. Eating behaviors27, 14-16.

Linardon, J., & Messer, M. (2019). My fitness pal usage in men: Associations with eating disorder symptoms and psychosocial impairment. Eating behaviors33, 13-17.

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Messer, M., McClure, Z., Norton, B., Smart, M., & Linardon, J. (2021). Using an app to count calories: Motives, perceptions, and connections to thinness-and muscularity-oriented disordered eating. Eating Behaviors43, 101568.

Morris, M. (2016). My fitness pal? Calorie counting in an age of self-surveillance.

Simpson, C. C., & Mazzeo, S. E. (2017). Calorie counting and fitness tracking technology: Associations with eating disorder symptomatology. Eating behaviors26, 89-92.