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Trucs et inspirations

Voici les troubles alimentaires qui touchent les hommes

Tranche de vie d'un nutritionniste ex-douchebag : au CÉGEP, le jeune étudiant en sciences naturelles que j'étais commençait à s'entraîner au gym. Pour faire comme mes amis, pour devenir plus fort, et bien sûr pour devenir plus musclé.

Je voyais les résultats arriver assez rapidement et c'était satisfaisant.... Mais pas assez à mon goût. J'avais besoin de plus. Dans ma quête d'information, j'étais tombé sur un plan alimentaire en ligne qui promettait de gagner «12 pounds of pure muscle in 21 days» — en faisant la recherche pour cet article, j'ai d'ailleurs retrouvé ledit plan. Sur la page couverture, on voit les auteurs, deux bodybuilders musclés et huilés. Un en train de faire des bicep curls, et l'autre des tricep pushdowns.

Le plan dictait de manger en déficit calorique pendant une semaine pour « rendre le corps plus efficace à emmagasiner la nourriture en masse musculaire », suivie par deux semaines en surplus calorique pour « profiter du corps préalablement privé pour maximiser les gains ».

Confiant, j'ai commencé à restreindre mes apports pour la première semaine. Par manque d'énergie et par faim intense, j'ai mangé plus que ce que j'aurais « dû » à quelques reprises. Déçu de moi, j'ai décidé d'allonger la durée du déficit calorique à une semaine et demie, puis à deux semaines. Après m'être senti super faible et affamé pendant aussi longtemps, j'étais sans fond pour les semaines suivantes. L'expérience n'a pas porté fruit et m'a surtout mis en pleine face qu'aussi solide j'estimais mon esprit critique, j'étais moi-même très susceptible aux magouilles de l'industrie des diètes et du fitness.

Chaque jour, je côtoie dans mon bureau des femmes, hommes enfants et ados aux prises avec un trouble alimentaire. Par chance, ma courte aventure ne m'a pas amené si creux, mais les troubles alimentaires chez les hommes sont bien présents et plus fréquents qu'on le croit. C'est la réalité que je veux exposer aujourd'hui.

Les troubles alimentaires, pas juste pour les femmes?

Un pourcentage similaire d'hommes et de femmes sont insatisfaits avec leur corps. Toutefois, les hommes croient généralement qu'ils doivent être plus musclés et changer leur corps entre la taille et les épaules alors que les femmes souhaitent être plus minces et changer leur corps à partir de la taille jusqu'en bas.

La détresse associée aux comportements malsains est également perçue comme moins grande chez les hommes. Par exemple, la fréquence des épisodes d'hyperphagie, ou binge, est sensiblement la même pour les hommes et les femmes, cependant les hommes s'en sentent moins dérangés. Comme l'objectif est de devenir plus musclé et de « prendre de la masse », manger en excès est pratiquement bien vu.

Avec les questionnaires actuels, on compte environ 4 fois plus de femmes que d'hommes avec un trouble alimentaire. Je spécifie les « questionnaires actuels », parce que ceux-ci sont conçus pour identifier les comportements plus « typiques » des troubles alimentaires, tels que les vomissements et l'usage de laxatifs. Les chiffres seraient certainement plus élevés si on y ajoutait les symptômes associés à la « masculinité », tels que l'exercice excessif ou l'usage de stéroïdes.

Les troubles alimentaires qui touchent les hommes

Le binge eating

40% des personnes qui vivent des épisodes d'hyperphagie sont des hommes. Ce trouble alimentaire, reconnu au DSM-5 (manuel diagnostique des troubles mentaux et psychiatriques de l'Association Américaine de Psychiatrie), est plus prévalent que l'anorexie et la boulimie combinées, et est le plus fréquent chez les hommes.

Voici des phrases qu'on entend souvent chez ceux qui souffrent de ce trouble :

  • « Je sens que je ne peux pas arrêter une fois que je commence à manger. »;
  • « Je mange jusqu'à me sentir inconfortablement plein. »;
  • « Je réalise que je mange vraiment rapidement, parfois même sans avoir faim au préalable. »;
  • « Je mange régulièrement seul en raison de la honte liée à la quantité ingérée. »;
  • « Après les épisodes de binge, je me sens coupable, déprimé, dégoûté. ».

La dysmorphie musculaire

Classifiée depuis 2013 dans le DSM-5, la dysmorphie musculaire décrit une perception irréaliste du corps combinée à une quête excessive de gain de masse musculaire.

Les comportements qui s'y rattachent sont les suivants :

  • Évitement d'activités sociales ou professionnelles causé par un besoin compulsif d'adhérer à un plan alimentaire ou d'entraînement;
  • Évitement de situations où le corps est exposé aux autres, ou manifestations de détresse ou d'anxiété marquée dans ce genre de situations;
  • Détresse quant à l'idée que le corps ne soit pas adéquat menant à nuire au fonctionnement normal de la personne;
  • L'entraînement excessif, les comportements alimentaires dangereux, et l'usage de substances comme les stéroïdes anabolisants se poursuivent même si l'individu en connaît les inconvénients sur la santé physique et mentale.

En 2000, une enquête de Pope et associés montrait que pas moins de 50% des hommes souffrant de dysmorphie musculaire avaient un historique avec les stéroïdes anabolisants. 

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D'autres troubles alimentaires fréquents chez les hommes

Les autres troubles alimentaires prévalents chez les hommes sont « l'anorexie athlétique » et la « boulimie nerveuse de l'homme ».

L'anorexie athlétique est caractérisée par une obsession d'être le plus cut possible. Les muscles doivent paraître bien définis et les vaisseaux sanguins saillants. Les hommes souffrant de ce trouble vont limiter leurs apports énergétiques, souhaiter une grande perte de masse adipeuse et miser sur une importante quantité de protéines chaque repas.

Finalement, la boulimie nerveuse de l'homme se note par la fréquence élevée de pertes de contrôles alimentaires suivies de comportements compensatoires. La différence avec la boulimie traditionnelle est que les hommes vont décrire leurs épisodes de binge comme des cheat meals, cheat days, « triches », etc. Et après ces épisodes, ils compenseront via les vomissements, les jeûnes prolongés, ou en s'entraînant plus longtemps, fréquemment et intensément au gym.

Le nœud du problème

La raison pour laquelle la situation est alarmante est que les hommes reçoivent beaucoup moins d'aide adaptée pour les accompagner dans leur trouble alimentaire.

Premièrement, demander de l'aide n'est pas considéré comme « masculin ». Les hommes peuvent aussi avoir certains préjugés face à la thérapie. On voit même une tendance chez les médecins à conseiller aux hommes qui osent exposer leur détresse de man up pour vaincre leur trouble alimentaire. Comme les questionnaires de dépistage adressent généralement les comportements associés aux troubles plus « féminins », le diagnostic d'un trouble chez l'homme est plus rare. Les hommes sont moins référés pour un suivi spécialisé, et cette observation est encore plus fréquente pour les hommes avec un IMC les catégorisant en « surpoids » ou supérieur.

Deuxièmement, les hommes sont ambivalents. Comme pour la période de lune de miel chez les femmes anorexiques qui reçoivent beaucoup d'attention et de compliment de leurs pairs après les premiers kilos perdus, les hommes voient l'exercice intense et les épisodes de binge comme une réussite et une sphère sur laquelle ils exercent un certain contrôle. Délaisser ce contrôle pour se détacher du trouble implique des désavantages considérables à leurs yeux.

Finalement, les services et documents d'information sont souvent orientés vers les femmes. Les groupes de discussion seront composés de femmes et aborderont les enjeux qui les touchent directement, isolant d'une certaine manière les hommes qui décident d'y participer. 

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Des solutions aux troubles alimentaires chez les hommes

Comme première ligne de traitement, la psychothérapie est toujours conseillée, surtout si les symptômes du trouble sont modérés. Une avenue de traitement est entre autres de surveiller quotidiennement et de prendre en note les comportements problématiques pour mieux les comprendre.

La pharmacothérapie peut également être sollicitée. Des médicaments comme les antidépresseurs, antiépileptiques, ou même certaines molécules utilisées dans le traitement du déficit de l'attention et de l'hyperactivité présentent certains bénéfices dans les études à ce sujet.

En nutrition, c'est toujours super aidant de parler du problème, d'explorer les choix alimentaires et leurs origines, de laisser l'homme exprimer ses doutes et croyances, et de proposer des réponses basées sur les évidences scientifiques. L'écoute sans jugement est souvent bien plus puissante qu'on peut penser.

À l'échelle systémique, la sensibilisation auprès des professionnels de la santé est primordiale. Les troubles alimentaires qui touchent les hommes sont beaucoup moins connus. Avec le dépistage plus fréquent, leur prévalence sera portée à augmenter dans les prochaines années, donc les professionnels se doivent d'être bien informés et prêts à intervenir.

En addition aux options précédentes, des groupes de discussion pour hommes qui encouragent la vulnérabilité et l'empathie sont essentiels. Un partage honnête et reçu sans jugement amène plus facilement les autres membres du groupe à partager leurs propres expériences. En ciblant les enjeux qui touchent les hommes (par exemple la pression des médias, l'exercice excessif, les traumas, l'identité de genre, l'orientation sexuelle, l'image corporelle, etc.), on a plus de chance de cultiver un environnement de guérison plus fertile.

Et pour finir

Les lignes ci-haut sont seulement la POINTE de l'iceberg. Oui, la littérature au sujet des troubles alimentaires chez l'homme est moins étoffée que celle pour les femmes. Cependant, il en existe définitivement assez pour réaliser que les hommes sont grandement à risque et ne bénéficient actuellement que de très peu de ressources et de professionnels informés pour les accompagner là-dedans.

En espérant avoir éveillé quelques consciences, et que des discussions sans jugement voient le jour à ce sujet très bientôt!

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