Longtemps, les sorcières étaient associées à de vilaines bonnes femmes qui n’avaient comme seule ambition de ruiner la vie des gentilles personnes avec leurs pouvoirs qui servaient au mal. Laides et dégoûtantes ou belles et désirantes, la représentation que nous avons des sorcières vient directement de l’héritage de la chasse aux sorcières, un massacre qui fit des millions de victimes du XVe au XVIIe siècle en Europe. Mais aujourd’hui, de plus en plus de femmes s’auto-proclament sorcières et, ce faisant, se positionnent de façon critique face à l’histoire d’un génocide.
Se dire sorcière au XXIe siècle, c’est un acte en soi contestataire. Starhawk, sorcière californienne écoféministe, aime les mots « magie » et « sorcellerie », car ce sont des mots qui posent un malaise chez les gens et les mots qui créent un inconfort provoquent une réflexion, un changement. De plus en plus de jeunes femmes féministes voient en la sorcière une figure de rébellion féminine. Car les sorcières étaient avant tout des femmes de science, des femmes indépendantes et libres dans leur sexualité, c’est pourquoi il fallait mieux la réprimer.
Durant la chasse aux sorcières, le pape Innocent VIII commanda le Malleus Maleficarum, écrit par Jacob Sprenger et Heinrich Kramer. Dans ce texte en latin daté de 1487, on pose la sorcière comme étant essentiellement mauvaise, se promenant sur un balais magique et vivant, recluse, à l’orée du bois. Ses pouvoirs lui sont donnés par le Diable en personne, avec qui elle entretient des rapports sexuels. Curieusement, on y écrit que les femmes qui se servent de leurs pouvoirs magiques pour le bien sont plus à craindre que les femmes qui s’en servent pour le mal. Barbara Ehrenreich et Deirdre English affirment que la chasse aux sorcières n’est que le début d’une longue lutte entre les sexes en médecine, lutte remportée par les hommes avec l’aide de l’Église. Après tout, le Malleus Maleficarum précise que les sorciers ne présentaient aucune menace.
Il existe même des théories selon laquelle la chasse aux sorcières serait en fait une répression d’un mouvement politique de gauche mené par les femmes, ce qui expliquerait pourquoi on a brûlé plus de 400 femmes en une seule journée dans une seule ville (Toulouse). C’est le féminin dangereux qu’il faut écraser, une force féminine qui fait écho à la Déesse des sociétés matriarcales. C’est un féminin à tuer et à torturer dans une Renaissance où la connaissance lumineuse et rationnelle ne se fait qu’en chassant les savoirs inexplicables, la noirceur, le sexe qu’est la femme.
Aujourd’hui, nous continuons de représenter les sorcières comme vilaines, qui volent sur des balais à l’image du Malleus Maleficarum, ce qui montre comment ce guide pour détecter les sorcières fait encore son effet quelques siècles plus tard. En reprenant la figure de la sorcière, les femmes sont celles qui reprennent leur récit et mettent au défi nos conceptions par rapport au féminin savant et rebelle. C’est aussi resacraliser l’expérience féminine.
On peut être sorcière d’une panoplie de façons, il ne faut pas nécessairement voir les auras et parler aux esprits (quoique la possibilité est là). On peut être sorcière car on croit à la magie, car on tire au tarot, car on veut créer un groupe étroit de femmes (une sororité nommée convent), car on est féministe, car on se dit héritière d’une longue lignée de femmes fortes, car on étudie la médecine et les plantes, car on n’est pas satisfaite de la façon qu’on nous présente le monde. Kristen J. Sollée propose que les femmes, en devenant féministes, se retrouvent parfois prises au fait que la religion est masculine et a longtemps fait mal aux femmes, que la science moderne est le résultat d’un mode d’appréhension masculin (ce qui change tranquillement), qu’en fait, il faut déconstruire tous les discours qui leur ont été donné comme vrai, ce qui leur laisse très peu de place pour la foi. En entrant dans l’ésotérisme (même si ce n’est pas tout à fait pris au sérieux), ou même en entrant dans le néo-paganisme et la wicca, les sorcières milléniales peuvent créer une vision du monde qui leur est propre et qui leur convient. Starhawk dit que la magie, c’est l’acte de changer le monde, en commençant par se changer soi-même et en devenant plus authentique à sa propre personne.
La chasse aux sorcières a décliné suite à un nouvel angle adopté par l’Église. Puisque la sorcellerie était un interdit, elle est devenue très populaire au sein des femmes nobles, notamment, qui commandaient des élixirs. On a décidé de ridiculiser les sorcières, au lieu de les présenter comme dangereuses et, donc, pleines de pouvoirs. Banaliser en ne prenant pas leur expérience ou leur savoir au sérieux, voilà la nouvelle propagande chrétienne après le Malleus Maleficarum. En anglais, nous disons encore « old wives’ tales », c’est le ton qu’on utilise : tout ceci n’est que du charabia. Les sorcières, c’est de l’invention, de la folie, du n’importe quoi, ou c’est ce qu’on aime nous faire croire. Et si il y avait justement un potentiel révolutionnaire là où la raison est la plus susceptible d’être dérangée? Car malgré le ridicule qu’on leur attribue, les histoires d’esprits, de voyages astraux et de dons circulent depuis des siècles dans toutes les familles, et je suis certaine que c'est le cas dans la vôtre aussi. On en rit, on en a peur. Dans tous les cas, on peut affirmer que la sorcière dérange, puisque se dire sorcière dérange encore.
Alors, si vous voyez en Hermione Granger la héroïne que vous souhaitez secrètement devenir ou que vous admirez Sabrina l’apprentie sorcière, que les nouvelles représentations de sorcières vous parle, plus que vous ne l’auriez pensé, peut-être que vous souhaitez secrètement être une sorcière vous aussi. Si vous aimeriez basculer les conventions, confronter l’étrange et revaloriser l’histoire muette des femmes fortes du passé, ou même simplement vous procurer votre kit de sorcières, vous êtes déjà plus magique que vous ne le pensez.
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