Le 24 février dernier, la nouvelle concernant le verdict de culpabilité d’Harvey Weinstein faisait l’effet d’une bombe tant aux États-Unis qu’autour du monde. Mais une autre détonation qu'on n'attendait pas s’est fait entendre ce jour-là, au moment de la publication de la vidéo Be A Lady They Said, où l’on peut apercevoir l’actrice Cynthia Nixon, bien connue pour son rôle dans l’émission Sex and the City, faire l’énumération spectaculaire des nombreux messages contradictoires qui sont envoyés aux femmes dès leur plus jeune âge et qui perdurent tout au long de leur vie adulte.
Avec ces images léchées qui rappellent l'univers de la mode en passant par la pornographie, Be A Lady They Said est une oeuvre qui frappe droit dans la cible, en cette période de l'après #MoiAussi (connu aussi sous le nom #MeToo). On y met le doigt sur un bobo qui n'est pas nouveau, mais qui semble ne jamais avoir cicatrisé au fil des générations.
Vous pouvez visionner la vidéo avec des sous-titres en français ici :
Pourquoi le texte percutant Be A Lady They Said est-il pertinent en 2020?
Le texte, qui a su émouvoir des femmes venues de tous les horizons, a été écrit par la poète Camille Rainville. En 2020, on pourrait croire que les dictats imposés aux femmes sont une affaire du passé, qu’on a gentiment laissés derrière nous dans les années 50. Pourtant, des millions de femmes se sont reconnues dans cette dénonciation contemporaine des messages que les femmes peuvent entendre depuis le berceau.
On met sous les projecteurs ces pressions dont nous sommes témoins dès l'enfance : être sexy sans être vulgaire; se couvrir sans jamais sembler prude; sans oublier les dangers des agressions sexuelles, pour lesquelles les femmes seront encore parfois blâmées plutôt que leurs agresseurs. (Il suffit de balayer du regard les commentaires d'internautes haineux sur les réseaux sociaux envers les gens qui portent des accusations contre des agresseurs puissants, pour voir que le temps des sorcières n'est pas complètement révolu.)
Avec les contradictions qui sont soulevées dans la vidéo, on a affaire ici à une charge mentale qui va bien au-delà de la corvée de plier la lessive et repasser nos chaussettes. C'est carrément la liberté d'être des femmes libres et entières qui est niée, à travers toutes ces règles non sollicités qui viennent en bonus quand on est une femme.
Les images parfois explicites présentées dans la vidéo en auront choqué certains. Oui, on peut percevoir des scènes de nudité et des évocations sexuelles très crues. Ce qui est réellement choquant, ce n’est pas de nous montrer ces scènes filmées sous l'oeil de talentueux directeurs artistiques tout feu tout flamme, mais bien la réalité moins glamour qui se cache derrière. Parce que tout ceci est la recette pour cultiver le mal-être.
Ce clip n'est que la représentation d'une réalité fort compliquée, digne d'un énorme casse-tête grandeur nature, auquel il vaut le peine de s'intéresser.
Dénoncer n'est pas synonyme de victimisation
Malgré l’effet de tsunami qui a propagé Be A Lady They Said aux quatre coins du Web, avec ses 3,3 millions de visionnements en trois jours seulement, certains internautes ont dénoncé ce qu’ils perçoivent être une position de victimisation, mentionnant du même souffle que les hommes aussi souffrent des dictats qui leur sont imposés. Personne ne nie cette réalité. Pourtant, ce n'est pas ça le point.
Il semble fort difficile d'encourager l'empowerment féminin sans devoir aussi donner une tape dans le dos de la condition masculine pour la soutenir du même geste. Clairement, il s'agit d'un terrain miné.
Quoiqu’il soit tout à fait légitime que les hommes puissent s’exprimer au sujet de leur condition (et qu’on les encourage fortement à le faire), ce n’est certainement pas en rabrouant cette initiative du Girls. Girls. Girls. Magazine que ça doit être fait. Ce n'est ni le bon moment, ni la bonne manière de le faire habilement. Sinon, le résultat sera de faire d'une pierre, zéro coup.
Non, ce n’est pas à Cynthia Nixon de s’exprimer au nom des hommes, mais bien à eux de prendre l’initiative de nous parler de leur réalité afin de nous sensibiliser sur ce qu’ils ont à dire. Nous écouterons alors avec attention, respect et bonne foi. Encore faut-il nous donner le même privilège d'écoute, plutôt que de faire dévier le sujet et se ramasser collectivement au bas d'un jeu de serpents et échelles.
Cette complainte n'est pas du pleurnichage, elle est une prise de position devant un constat pertinent parmi tant d'autres.
#Tannées mais #Debouts
N'y allons pas par quatre chemins : oui, on est écoeurées que des industries et des détenteurs de pouvoir profitent des complexes qu'ils sèment en nous afin de récolter nos insécurités et notre argent. On en a marre de se sentir accusées lorsqu'on doit dénoncer un agresseur. On est à boutte que des tas de femmes se fassent elles aussi complices de ce système, souvent sans même se rendre compte des ficelles qui les guident. On en a plein le cass' de devoir être belles, mais naturelles, mais jeunes, mais pas trop infantiles, mais épilées, mais avec toute une crignère et des sourcils volumineux mais pas trop, sans ride et surtout, sans tricher. Mesdames, c'est le moment de passer d'à boutte à debouttes.
Le message de cette vidéo? Nous sommes celles qui peuvent agir pour se libérer, en refusant qu'on nous dicte une niaiserie et son contraire. Notre sens de l'individualité et notre esprit de communauté doivent tous deux unir leur force pour qu'on ignore et refute les dictats qu'on juge impertinents, irréalistes, cruels, idiots, malsains. C'est bon pour les femmes, c'est bon pour les hommes. C'est bon pour l'humanité. C'est bon pour le moral. C'est bon, bon.
Les luttes pour que les femmes et les hommes soient plus épanouis ne devraient pas être une guerre des sexes, mais bien un échange de regards mutuels. Les rôles impossibles qu’on tente d’imposer aux femmes ne sont pas causés par les hommes nécessairement, plusieurs femmes prises dans un semblant de syndrome de Stockholm les imposent à leur tour. C’est la société en entier qui doit saisir cette occasion d’introspection, et c’est aux individus de se demander ce qu’ils désirent faire de tous ces critères irréalistes qui pleuvent autour de nous.
Le chemin ne sera certainement pas facile. Certaines sont endoctrinées par des décennies d'idéaux impossibles. Certaines seront en désaccord avec le choix des autres. Mais la liberté d'être qui l'on veut, elle part du droit qu'on se donne d'avoir un sens critique envers ce qui nous est enseigné; on peut choisir d'accepter ou de refuser. Il n'y a pas qu'une seule manière d'être une femme. Et il n'y a certainement pas que deux manières opposées qui s'affrontent non plus. Nous sommes multiples, car nous sommes, simplement.
Non, ce n’est pas une victimisation de constater et de nommer les choses telles qu’elles sont. C’est un pas de plus vers l’affirmation de soi, et c’est ainsi qu’on brise les chaînes invisibles qui nous restreignent comme humain.
Il est possible que cette route soit sans fin, mais comme dans toutes bonnes choses, la valeur est peut-être plus d'être du voyage que d'arriver le premier à destination.
Il est temps de dire aux jeunes filles comme aux plus vieilles : vous existez au centre de ces codes contradictoires, on vous voit, on vous entend.
Mais nous voilà bien coincées depuis la nuit des temps, au milieu des attentes qu’on nous impose, parfois subtilement et souvent pas du tout. Pressées entre le cliché de Marie la Sainte Vierge et celui d'Ève la tentatrice du péché originel, surtout, attention de n'être jamais aucune des deux!
L'histoire se répète. Saurons-nous la changer?
Nous sommes blasées d'être la viande au cœur de ce sandwich polarisant
La libération commence par ce qui se passe entre nos deux oreilles. Et les femmes méritent de se donner les moyens d’être en harmonie avec la fibre qui les tisse, plutôt que dans un moule prédéfini et étouffant.
Cette vidéo devenue virale aurait été pertinente à ce moment-ci de notre histoire, peu importe le verdict à l’issue du procès d’Harvey Weinstein. La route est longue, mais une lueur l'éclaire.
Parce que tant de femmes suffoquent depuis trop longtemps, il est temps de dire que nous avons le pouvoir de générer plus d’oxygène en laissant les stéréotypes derrière nous, pour enfin exister sans craindre de déplaire ni craindre de plaire.