Depuis plusieurs années, le désencombrement est à la mode. Le succès de la méthode Konmari, la prolifération de matériel d’organisation pour la maison ainsi que les nombreuses émissions de télé « d’épuration » le prouvent… Et ce n’est pas étonnant, étant donné le message ambiant de surconsommation auquel nous faisons face, plus l’abondance de publicités toujours mieux ciblées qui nous atteignent ou encore la possibilité de magasiner sans même se déplacer. Bref, beaucoup de gens vivent désormais dans des maisons ou appartements remplis de choses, au point que ça devienne un problème.
Mais la pandémie de COVID-19 amène une question intrigante, complètement à contre-courant de tout ce qu’on a pu voir dernièrement… Et si finalement le minimalisme et le désencombrement étaient des erreurs?
La pandémie change la donne
Bien sûr que cette pandémie de COVID-19 n’a pas dramatiquement altéré les conditions de vie de la plupart des gens, comme pourraient le faire une guerre ou un désastre naturel majeur, par exemple. Mais il reste que pour une majorité d’Occidentaux, la dernière année demeurera la plus particulière de leur vie, celle où ils ont dû faire face aux plus grands changements, aux plus importantes adaptations constantes, le tout combinés à un fort stress et à un climat social d’angoisse et de dissension.
Non, la chaine d’approvisionnement et de distribution n’a pas été complètement perturbée par la COVID, mais la pandémie a tout de même certainement montré, pour la première fois de notre vie, les failles du système. De la pénurie de papier de toilette et de farine à tous les autres petits « manques » ponctuels auxquels nous avons dû faire face dans les derniers mois, jamais autant de tablettes vides n’étaient apparues dans les magasins. Jamais non plus il n’avait été aussi compliqué, voire risqué pour certaines personnes de se procurer des biens, qu’on parle de la fermeture des commerces due aux confinements, des files d’attente pour y accéder ou encore des craintes de certaines personnes à risque de les fréquenter.
Et je dirais même plus : la pandémie a secoué notre illusion que le système était solide et parfaitement fiable. À partir de là, beaucoup de choses peuvent être remises en question.
Soudainement, accumuler prend un certain sens
Dans le contexte de la pandémie, posséder beaucoup de choses et avoir « des réserves » n’est plus nécessairement un trait négatif, mais plutôt une bonne « police d’assurance » face aux conditions qui ont rapidement changé. Comme la journaliste Amanda Mull l’a récemment expliqué dans le magazine The Atlantic, « auparavant, mon penchant pour l’accumulation et le désordre m’étaient toujours apparu comme une faiblesse de caractère… Mais maintenant, à la maison comme des millions d’autres personnes qui ont la chance de faire du télétravail, je passe mon temps à déplacer et à m’empêtrer dans toutes ces choses que j’avais passé des années à essayer d’ignorer. Sauf qu’au lieu de m’en vouloir comme avant, la pandémie m’a fait éprouver uniquement… du soulagement. » (traduction libre). Ce qui a changé pour elle, c’est la perspective que son besoin de s’accrocher à ses choses n’était finalement ni tiré par les cheveux, ni ridicule!
Pour la première fois de sa carrière, depuis le début de la pandémie Mulls a même commencé à recevoir des témoignages de lecteurs, exprimant non pas leur satisfaction d’avoir épuré leur maison… mais plutôt leurs regrets face à cette purge!
En effet, la pandémie a changé deux choses fondamentales : le temps que les gens passent à la maison et l’accès aux biens. Ainsi, les gens se cherchent des passe-temps, et regrettent soudainement de s’être débarrassé de tout le matériel lié à un hobby qu’ils avaient préalablement laissé tomber, ou encore s’en veulent d’avoir jeté tous leurs casse-tête et jeux de société qui accumulaient auparavant de la poussière. À la suite de la fermeture des gyms, plusieurs autres se mordent les doigts d’avoir donné leur équipement sportif auxquels ils ne touchaient pourtant jamais… Les exemples du même genre pleuvent.
Et face aux pénuries ou à des circonstances difficiles comme un chômage qui se prolonge, posséder des réserves de nourriture, de produits ménagers ou d’articles d’hygiène devient soudainement non seulement sensé, mais même presque une ressource miraculeuse!
Les crises sociales tendent à marquer les gens
Je l’avoue, j’ai un fort penchant minimaliste naturel. Je n’y peux rien et je ne considère pas que c’est un trait « supérieur » : l’encombrement et le désordre affectent directement mon état d’esprit, m’empêchant tout simplement de penser, de fonctionner et d’être bien. Ça me vient peut-être également de mon enfance : chez nous, le chaos ne régnait jamais, il n’y avait jamais rien qui trainait plus que quelques heures, aucune surface ou racoin n’était surchargé, aucune pile de choses ne se formait jamais nulle part. (Je vous rassure, ce n’était ni froid ni stérile; c’était au contraire chaleureux et tout simplement… organisé!)
Je me souviens pourtant d’aller rendre visite à des gens et d’éprouver un choc de voir à quel point leur intérieur était différent du nôtre! Et même d’en parler avec ma mère par la suite, en lui demandant pourquoi ils avaient, gardaient et accumulaient autant d’items. « Ils ont vécu la Crise, » était sa réponse. « C’est beaucoup plus difficile pour eux de jeter et, par conséquent à la longue, de ranger. »
Je crois qu’il y a beaucoup de vrai là-dedans; entre autres dans le fait que ça dépasse largement la sphère du « matériel » et que c’est une question profondément psychologique.
Avoir connu la privation et le besoin, ça tend à laisser des traces durables chez les gens, et ce, même une fois que ces conditions difficiles disparaissent. Le message est le suivant : lorsqu’on a vécu une crise, on n’oublie jamais que la rareté peut apparaître n’importe quand et qu’inversement, les conditions confortables dans lesquelles nous vivons ne devraient jamais être prises pour acquis.
Dans une moindre mesure que celles de la Grande Dépression ou d’une guerre, il restera à voir si la pandémie va avoir le même effet et pourra faire reculer la tendance du minimalisme.
À qui s’adresse le minimalisme, en fin de compte?
Voici une idée qui fait mal, mais qui marque un point : finalement, le minimalisme serait peut-être uniquement adressé aux gens les plus riches, voire même les plus « déconnectés » des conditions de vie de la plupart des autres…
Dans le sens où, pour vivre dans une maison parfaitement désencombrée, sans aucun surplus ou superflu, il faut à la fois être complètement à l’abri du besoin ET en mesure d’avoir un accès beaucoup plus grand, facile et rapide que la moyenne à l’approvisionnement! Toujours selon Mull, « jeter tout ce qui n’est pas parfaitement utile et nécessaire à un certain moment est en soi une forme de privilège ».
Qu’en pensez-vous? Êtes-vous plus du côté du minimalisme ou de l’accumulation?