Tous les spécialistes s’entendent pour dire qu’il est bénéfique qu’une mère allaite son bébé. Santé Canada recommande pour sa part l’allaitement exclusif jusqu’à six mois, et de le combiner à une alimentation variée jusqu’à deux ans et plus. Toutefois, dans la vie de tous les jours, lorsque le bébé se transforme en enfant, le regard de l’entourage se modifie. Quelques mères font fi de la pression sociale et décident de poursuivre l’allaitement bien au-delà de la première année de vie.
Pourquoi?
Car c’est un choix personnel
Certaines femmes souhaitent allaiter, d’autres non. Certaines sont prêtes à tout, d’autres ne s’acharneront pas, advenant des difficultés. La majorité des femmes se forgent une opinion durant leur grossesse, mais rares sont celles qui décident de la durée de l’allaitement. La reprise de certaines activités vient souvent y mettre un terme, mais d’autres poursuivent, malgré un horaire chargé, sans voir le temps passer.
Julie, mère de quatre enfants, a cessé d’allaiter ses trois premiers vers l’âge d’un an, soit au moment où elle tombait enceinte à nouveau. À son quatrième, elle ne trouvait pas de véritable raison d’arrêter, et a poursuivi l’allaitement jusqu’à son entrée à la maternelle.
Magalie, pour sa part, avait entendu parler des bienfaits de l’allaitement tardif, et avait lu La mère, le bambin et l’allaitement. Elle avait envie de vivre cette expérience, qui s’est cependant avérée plus difficile qu’elle ne l’aurait cru. Elle a cessé d’allaiter son deuxième garçon à l’âge de trois ans.
Car c’est parfois une question de culture
Notre culture vient interférer dans notre vision de l’allaitement. Pour certains peuples, l’allaitement tardif est normal, et même souhaité. Pour les peuples occidentaux, cette pratique rare entraine des jugements de toute part. Il est difficile de comprendre pourquoi une femme allaite son enfant alors qu’il peut se nourrir de mets variés, mais à l’inverse, il est possible de se demander pourquoi un allaitement qui se déroule bien est interrompu.
Car la nature est bien faite
Auparavant, l’allaitement était une condition de survie absolue, et dans certains pays, il s’agit encore d’une réalité. Lorsque les gens peinent à se nourrir, personne ne se demande si une mère doit cesser ou non d’allaiter son enfant.
Dans notre société, la réalité est tout autre. Les enfants ont accès à une panoplie d’aliments, alors pourquoi se tourner vers les seins de leur mère? Mais pourquoi pas? On respecte le besoin de succion d’un enfant en lui offrant une suce, en le laissant sucer son pouce ou sa doudou, mais on a plus de difficulté à voir un enfant venir vers sa mère pour répondre à ce même besoin. Au fil du temps, un monde s’ouvre à l’enfant, qui ne ressent plus la nécessité d’être allaité. Certains cesseront eux-mêmes de boire au sein de leur mère sans qu’elle ait besoin de décider elle-même du moment d’arrêt.
Est-ce bénéfique pour l’enfant?
Les avantages de l’allaitement demeurent pratiquement les mêmes, de la naissance jusqu’à l’âge de 4-5 ans.
Stéphanie Demers, médecin de famille, explique que « la valeur nutritive du lait évolue en même temps que l’enfant. Plus l’enfant vieillit, plus le lait devient riche en protéines, graisses, calcium et vitamines. Il offre également une protection immunologique. »
Toutefois, puisque les tétées sont de plus en plus espacées, de moins en moins nombreuses, les avantages de l’allaitement tardif se trouvent davantage du côté psychologique que nutritif.
L’allaitement procure un moment de symbiose et de détente avec son enfant. « Il joue un rôle positif dans l’attachement entre la mère et l’enfant, et augmente l’estime de soi », ajoute la Dre Demers. Ces moments de tendresse offrent un fort sentiment de sécurité affective qui permet au bambin de s’adapter facilement à différentes situations, et d’affronter avec assurance le monde qui l’entoure.
L’envers de la médaille
Il existe peu d’études réalisées sur l’allaitement tardif puisqu’un faible nombre de femmes le pratiquent. Malgré cela, tout porte à croire qu’il n’y a aucun inconvénient à allaiter son enfant jusqu’à 4-5 ans. La situation ne se vit pas facilement pour autant. L’opinion publique engendre un malaise envers ces mères.
Ce malaise permet à l’enfant de manipuler sa mère. Selon Magalie : « À un certain âge, l’enfant peut ressembler à un tyran, tellement il exige le sein, et ce, dans l’immédiat. » Elle a cessé d’allaiter son garçon de trois ans, car il souhaitait téter dès qu’elle s’assoyait. Se sentant inconfortable avec ce comportement, elle a mis fin à l’allaitement. La fille de Julie, quant à elle, réclamait le sein à tout moment, même dans les endroits publics. Elle a dû mettre des règles strictes, par exemple, qu’elle l’allaitait uniquement en privé. Comme sa fille a respecté le nouveau cadre établi, elle a pu poursuivre l’allaitement jusqu’à un sevrage naturel.
Mylène Schryburt de la Ligue La lèche mentionne « qu’il est important qu’une discipline soit instaurée, comme envers tout autre enfant. Il ne faut pas céder à tous les caprices, car il s’agit d’allaitement ».
L’enfant allaité peut également avoir de la difficulté à trouver d’autres sources de réconfort. La fatigue de la mère augmente alors. Graduellement, les deux parents doivent intégrer d’autres façons de le rassurer. « Il faut tenter de répondre au véritable besoin de l’enfant et ne pas offrir le sein pour tout », ajoute Mme Schryburt.
En fonction de l’âge de l’enfant, les défis de l’allaitement diffèrent. Il faut s’adapter, modifier son comportement et encadrer son enfant.
À quel moment est-ce anormal?
À tort, l’allaitement tardif est parfois perçu comme une forme d’inceste. Pourtant, il n’y a aucun geste à connotation sexuel dans le fait d’allaiter un enfant. Le manque de connaissance à ce sujet entraine des jugements hâtifs.
Le corps médical et la Ligue La Lèche s’entendent pour dire que l’allaitement correspond à une relation privilégiée entre la mère et l’enfant, et que, tant et aussi longtemps que les deux individus se sentent bien, cette relation peut durer.
La situation devient donc anormale si l’allaitement se poursuit alors qu’un des deux individus ne s’y sent plus bien. Lorsque la mère vit un malaise, elle doit être en mesure de sevrer son enfant ou de diminuer le nombre de tétées. Le bambin ne doit pas avoir le contrôle sur sa mère ni utiliser l’allaitement à sa guise.
L’allaitement devrait faire partie de l’intimité de la mère et de l’enfant. Comme il ne constitue plus la seule façon de nourrir l’enfant, aucune raison ne subsiste pour qu’il se produise à tout moment. L’allaitement d’un bambin doit offrir un moment de détente et de réconfort à son enfant, et ne doit pas servir à s’exposer en public. Au fil des années, il ne doit plus constituer le seul moyen de procurer de l’affection à son enfant. Le père et la mère doivent être en mesure de le rassurer autrement.
Il n’y a rien de plus naturel qu’allaiter son enfant, mais cela ne signifie pas pour autant que ce geste soit perçu comme normal dans notre société. « Il y a davantage de mères qui cessent l’allaitement après quelques semaines ou quelques mois que de mères qui poursuivent durant plusieurs années », mentionne la Dre Demers. Il faut respecter les choix de chaque femme. Certaines se mettent une pression pour allaiter, d’autres pour arrêter. Il faut se faire confiance, et écouter sa petite voix intérieure.
Merci à Stéphanie Demers, médecin de famille, et à Mylène Schryburt, co-coordonnatrice et monitrice de la Ligue La Lèche pour avoir répondu à nos questions concernant l’allaitement tardif. Merci à Julie et à Magalie (noms fictifs) qui ont accepté de partager leur expérience.