Il y a quelques décennies, les familles nombreuses étaient monnaie courante au Québec, alors qu’aujourd’hui, c’est plutôt marginal. On considère habituellement que 3 enfants, c’est déjà beaucoup. Pourtant, certaines femmes en ont 4, 5 ou plus! De plus, il n’est pas rare de nos jours d’avoir deux « familles » distinctes, séparées de quelques années. Après l’échec d’une première relation amoureuse, on ne reste pas nécessairement seule, et il arrive fréquemment que l’on retombe dans les couches après10 ans ou plus.
Isabelle L. est l’une de ces mamans d’aujourd’hui. Nous l’avons rencontrée pour connaître ses trucs et ses réflexions sur la maternité.
Tout d’abord, est-ce que tu peux nous présenter tes enfants? Ils ont quel âge?
J’ai une grande fille de 26 ans que j’ai eue très jeune, à l’âge de 15 ans. J’ai aussi un garçon de 22 ans. Plusieurs années plus tard, j’ai refait un 2e nid et j’ai eu une autre petite fille qui a maintenant 11 ans et des jumeaux, une fille et un garçon, qui ont aujourd’hui 9 ans.
Est-ce qu’avoir une famille nombreuse a toujours été un désir pour toi, ou bien est-ce une surprise de la vie?
Tous mes enfants sont des surprises de la vie, à part ma 3e qui a aujourd’hui 11 ans et que je voulais vraiment. C’était mon bébé de 30 ans. J’étais très jeune pour les deux premiers, et les jumeaux sont arrivés vraiment à l’improviste!
Tu as des enfants plus âgés et d'autres, encore très jeunes. Est-ce que ta manière de les élever a changé entre les deux familles?
J’ai surtout remarqué que, pour les deux plus grands, j’étais moi-même plus jeune donc je jouais beaucoup avec eux, à la poupée, au soccer, etc. Les 3 derniers sont très rapprochés et j’étais vraiment trop occupée pour jouer avec eux. Par contre, ils jouent beaucoup ensemble. Souvent, j’ai l’impression de préparer des activités pour qu’ils s’amusent ensemble, mais moi, je ne m’implique pas. Je n’ai plus l’énergie.
Au niveau des repas, du ménage, du lavage… Ça se passe comment?
Quand j’étais plus jeune, avec mes deux grands, je cuisinais beaucoup, je faisais le ménage sans arrêt. C’était même trop parfois. Aujourd’hui, ce n’est plus ma priorité. Je fais le nécessaire pour que ce soit vivable, mais je ne suis pas très portée sur le ménage. Ça ne me dérange pas que la vaisselle traine jusqu’au lendemain si j’ai autre chose à faire, comme passer du temps avec mes enfants ou prendre un moment pour moi.
Techniquement, quand on est pris dans le tourbillon, est-ce qu’on peut dire qu’on applique réellement un système d’éducation, ou bien il faut surtout prendre les choses comme elles viennent?
Avec le temps, j’ai pris de l’expérience. Je ne réagissais pas de la même manière avec les grands qu’avec mes 3 plus jeunes. Aujourd’hui, je choisis mes combats. Par exemple, si je lis un article sur le sujet « Votre enfant fait des crises », il y a beaucoup de choses que je sais déjà dans le fond. Parfois, je les applique, parfois non. Je n’adhère pas à tous les conseils, mais une chose est sûre, c’est que je suis à l’opposé de la génération de nos parents. J’essaie de parler avec mes enfants, de les aider à trouver des solutions pour régler leurs problèmes à eux, et pas seulement les miens.
Et la discipline? Est-ce que c’est vraiment primordial ? Quel genre de discipline as-tu développé dans ta famille?
La discipline se fait au cas par cas. C’est ce que j’appelle de la discipline de bon sens. Il y a des choses qui sont inacceptables, par exemple la violence. Je ne veux pas que mes enfants se donnent des coups quand ils se disputent. Mais je veux qu’ils comprennent pourquoi certaines choses ne se font pas. Plutôt que leur dire « Ne fait pas ça! », je préfère engager la conversation et leur dire « Pourquoi, selon toi, ça ne se fait pas? »
Alors, tu penses quoi de tous les psys et conseillers familiaux qui ont plein de solutions soi-disant magiques?
Ce sont de bonnes directives et ça donne de bonnes pistes. Il y a des méthodes qui sont intéressantes et applicables, mais pas toujours! Encore une fois, c’est vraiment du cas par cas. Je ne peux pas gérer mes 5 enfants de la même manière. Ils sont tous trop différents pour qu’une méthode qui fonctionne avec l’un fonctionne aussi avec l’autre. Il est impossible de gérer le même problème de la même manière avec l’un ou l’autre.
Une fois que les enfants sont là, on ne regrette jamais… Mais est-ce qu’il y a des passions, des rêves que tu as dû abandonner? Des choses dont tu t’es privée?
Dans ma tête d’idéaliste, je n’ai rien abandonné. Mais oui, il y a des choses que je n’ai pas pu faire encore, que j’ai mises de côté et que j’espère pouvoir reprendre un jour. Mais je ne me suis jamais dit « Ça, c’est fini, c’est plus pour moi! » J’ai juste mis mes rêves en stand-by.
Mes enfants grandissent et je suis toujours aussi occupée, mais j’ai quand même de plus en plus de temps. Par exemple, je voulais apprendre la guitare depuis des dizaines d’années et je m’y suis mise dernièrement. Mes enfants sont encourageants ; ils sont fiers de moi et contents de voir que j’ai du plaisir.
Est-ce que tu as déjà eu l’impression que la femme en toi n’existait plus?
Je n’ai jamais accepté que la femme en moi n’existe plus. Après ma séparation d’avec le papa des trois plus jeunes, ça a été assez difficile, mais j’avais trouvé comme solution de séparer ma vie de maman et ma vie de femme. Par exemple, j’ai eu un amoureux pendant très longtemps, mais je n’ai jamais accepté qu’il vienne chez moi, même quand les enfants n’étaient pas là. Je ne voulais pas le voir dans mon quotidien de jouets qui traînent partout et de piles de lavage. Bon, à la fin, c’est à lui que ça a causé des problèmes (rires). Il ne comprenait pas que je le voulais dans ma vie à moi, et pas comme beau-père de mes enfants.
Je me suis toujours arrangée aussi pour que mes enfants ne dorment pas avec moi dans ma chambre, sauf en cas de cauchemar ou de maladie. Ça a été difficile parfois parce que c’est tellement agréable de dormir à côté de son bébé, mais je voulais garder ce moment d’intimité pour mon couple au début, et pour moi quand je suis redevenue célibataire.
On entend plein de couples qui se plaignent de ne pas arriver financièrement avec 2 enfants et 2 emplois. Alors, toute seule, on fait comment?
Ce sont des petits miracles. Je suis devenue experte à trouver les friperies et les bazars. Par exemple, mes enfants ont tous des patins à glace et des patins à roues alignées, mais ils ont coûté 5 $ la paire! Je veux leur offrir des objets de qualité, mais je ne peux pas me permettre de leur en acheter des neufs. Pour les activités, je cherche les organismes communautaires.
Par contre, au début de l’année scolaire, je trouve ça épouvantable. L’école est supposément gratuite, mais je ne m’en sors pas pour moins de 1000 $. Même en ayant fait le tour des friperies et recyclé le plus de matériel possible.
Les 3 jeunes sont maintenant à la veille de l’adolescence, alors je vais peut-être avoir d’autres problèmes, mais on verra ça en temps voulu. Je ne pense pas qu’avoir des enfants coûte si cher que ça. Il est possible de les élever de manière à ce qu’ils comprennent qu’ils n’ont pas besoin d’un iPod à 500 $. Ma fille de 11 ans en voulait absolument un, alors j’ai cherché sur Kijiji et j’en ai trouvé un pour 100 $. D’accord, ce n’est pas le tout dernier modèle, mais pour elle, ça fait la job. Elle peut l’utiliser exactement de la même manière que ses amies.
Les enfants nous apprennent aussi beaucoup. Y a-t-il des facettes de ton caractère qui ont changé au fil des années? Lesquelles et pourquoi?
Je suis beaucoup plus tolérante, beaucoup plus patiente. Quand je n’avais que les 2 grands, je criais plus, je me « prenais au sérieux » et je voulais que les choses soient faites d’une manière et pas d’une autre. Aujourd’hui, j’ai compris la fragilité de la vie et je ne stresse plus pour des choses futiles comme un enfant qui saute sur un lit. Je me dis que s’il n’était pas en santé, il ne sauterait pas sur le lit. Je me dis que s’il n’était plus là, à sauter sur le lit, il me manquerait terriblement.
Je suis plus zen, plus calme.
Est-ce que tu penses parfois au jour ou tu n’auras plus d’enfants à la maison? Est-ce que tu envisages ce jour comme une sorte de libération ou ça te fait peur?
C’est sûr que j’aurai plus de temps, mais ça fait tellement longtemps que je n’ai pas de temps à moi que je ne sais même pas si j’en ai vraiment envie. Je suis chanceuse, comme j’ai 2 grands enfants, je serai peut-être grand-mère d’ici là! C’est sûr que ma vie serait ennuyeuse sans les enfants. Quand je suis dépassée, qu’ils ne m’écoutent pas, je me demande parfois ce qui m’a pris. Mais si j’écoute mon cœur, je sais que je serai vraiment triste quand ils partiront.
Par exemple, mon grand fils de 22 ans habite dans une autre province depuis plusieurs années. Je l’ai amené à l’aéroport dernièrement et j’ai encore pleuré de le voir partir. Pourtant, je devrais être habituée!
Que donnerais-tu comme conseil à une maman qui « capote » et a l’impression qu’elle n’existe plus, peu importe combien d’enfants elle a?
Il faut qu’elle fasse quelque chose qu’elle aime, souvent. Même si c’est seulement 10 minutes dans la journée : se couler un bon bain, s’acheter une bonne bouteille de vin et se cuisiner un bon repas, lire un roman, aller s’asseoir dehors. Il faut s’accorder des petits moments personnels régulièrement pour se ressourcer. 5 minutes par jour, c’est parfois tout ce qu’il faut pour continuer.
Est-ce qu’il t’est déjà arrivé d’appeler quelqu’un (un proche, le papa, une gardienne) à l’improviste parce que tu n’arrivais plus à gérer et avait besoin de prendre une pause?
Il m’est déjà arrivé de me sentir dépassée, mais j’ai rarement demandé de l’aide dans ces moments de crises parce que je sais que la situation finit toujours par s’arranger. Je crois que j’aurais regretté de capituler dans un moment comme ça. Je me serais sentie tellement triste après ça, parce que je sais que j’ai les moyens de communiquer avec mes enfants. On peut trouver des solutions ensemble pour tous les problèmes de la vie quotidienne.
Par contre, je n’ai aucun problème à chercher une aide professionnelle si nécessaire. Un de mes enfants avait commencé, quand il était plus jeune, à avoir des comportements compulsifs, et je suis allée au CLSC chercher de l’aide, mais c’était autant pour moi que pour lui. Je voulais avoir les outils pour savoir comment gérer ça au quotidien, comment l’aider.
Et si c’était à refaire?
Encore et encore et encore (rires)! Bon, je n’en veux plus d’autres, même si mes enfants me réclament parfois un frère ou une sœur, mais j’apprécie ce que j’ai. Je me trouve chanceuse et je suis fière de ma famille.
Merci à Isabelle L. d’avoir répondu à nos questions avec autant de bonne humeur, et pour sa vision inspirante de la maternité.
Cécile Moreschi, rédactrice Canal Vie