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Le mois de mai et l’initiative Maipoils nous invitent à laisser pousser nos poils, en toute liberté.
Pourquoi? Parce que la plupart du temps, on les rase par défaut. On les arrache sans se poser de questions, car c’est l’unique modèle dont nous disposons. Et quand je dis nous, je pense surtout aux femmes (et aux personnes non binaires) qui subissent la pression de rester imberbes. Parlons des poils sans tabou!
Lorsque j’étais enfant, la seule femme ayant défié les lois sacrées non écrites de la pilosité féminine que je connaissais, c’était ma tante. Elle ne se rasait jamais et je me souviens avoir scruté ses aisselles touffues avec curiosité. Du haut de mes sept ans, j’avais déjà intégré que la norme était les femmes rasées, épilées de près, les femmes douces et parfaites en tout temps. Comme dans les magazines, comme à la télé.
Étonnée d’être témoin d’un rapport au corps différent, la petite voix des normes sociales me soufflait que les poils affranchis de ma tante étaient synonyme de « laisser-aller », voire de malpropreté. J’y ai cru un peu, même si une partie de moi ne pouvait s’empêcher de trouver ma tante franchement badass avec son détachement total envers les exigences collectives. Cette liberté corporelle m’a marqué.
Lorsque j’ai commencé à me raser, à l’adolescence, j’ai compris pourquoi certaines femmes se laissaient l’épiderme tranquille. C’est une tâche sans fin de surveiller la repousse, inspecter le moindre petit point noir qui indique la naissance imminente d’un nouveau poil, se faire raconter des histoires d’horreur de poils qui repoussent pire qu’avant, faire de l’anxiété avant une date car on ne s’est pas rasé...
Dans les années 2000-2010, on jugeait sévèrement les corps. Jamais je n’aurais osé faire le choix de laisser trop pousser mes poils.
Mais sincèrement, je souffrais rien qu’à entendre les récits de proches plus téméraires que moi qui allaient jusqu’à se faire martyriser l'entrejambe pour plaire aux hommes.
Car c’est surtout de ça qu’il est question : plaire aux gars, plaire au regard masculin dominant. Ouin.
Avant de me faire lancer des roches : je n’ai absolument rien contre l’épilation. Et encore moins contre celle des autres ; vos corps ne m’appartiennent pas. Je me rase aussi quand ça me tente. C'est la culpabilisation et la pression sur les individus (et notamment les femmes) le problème, pas le rasoir ni la cire.
Je vous invite dès aujourd’hui à vous poser la question : « est-ce que ça me tente réellement de me raser? »
Est-ce que vous vous sentez bien après l’avoir fait, ou bien est-ce une autre corvée à accomplir? Une corvée sans émotion, sans intention. Si ça vous rend plus confiant.e d’enlever les poils de votre moustache, go! Si par contre vous raser les jambes ça ne vous apporte rien dans votre vie, laissez-les au naturel...
Gardons également ça en tête : les standards dominants de beauté poussent les femmes à ressembler… à des enfants. Mais, spoiler alert, le corps d’une femme adulte n’est vraiment pas censé être lisse comme celui d'un bébé.
En fait, nous ne pouvons jamais vieillir en paix, et je crois que le poil est la première marque du passage à l’âge adulte qu’on refuse aux femmes. Car je ne pense pas qu’à 14 ans on fasse le choix conscient et réfléchi de se jeter sur l’arrache-poil électrique, on mime simplement les comportements de nos mères, nos soeurs, nos vedettes préférées...
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Votre poil vous appartient, que vous décidiez de l’arracher ou le caresser.
En 2022, ça va tout de même un peu mieux. On se check moins l’épiderme frénétiquement et on juge moins celles et ceux qui n’ont pas le même désir de pilosité que nous. Ça va mieux grâce à Maipoils notamment, initié par Pamela Dumont en 2017, et à toutes celles qui ont osé être, plutôt que paraître - je pense à la fabuleuse Esther Calixte-Béa qui dévoile avec fierté ses poils de torse!
Maipoils invite tout le monde, et notamment les femmes pour qui le stigma est lourd, à réévaluer leur relation à leur pilosité. En cessant d’éradiquer nos poils, qu’est-ce qui se passe? C’est en laissant son poil pousser qu’on peut enclencher une véritable étude de nos douces toisons : est-ce si horribles que ça? Si ça vous interpelle, je vous invite à rejoindre le mouvement à votre façon et contribuer à faire éclater cette injonction sexiste.
Vous pouvez essayer ne serait-ce qu’avec une partie de votre corps cette année. La seule règle c’est : vous rendre compte que vos poils sont vos alliés et non vos ennemis (oui, la plupart de nos poils sont là pour nous protéger des bactéries)... une touffe à la fois!
Ça peut paraître facile dit comme ça, mais non, s'affranchir des diktats esthétiques de la société requiert un véritable travail de déconstruction. Deux femmes et une personne non binaire ont accepté de nous raconter.
Peut-être que leurs récits vous donneront l’impulsion nécessaire de lâcher votre rasoir, ou peut-être que, comme moi avec ma tante, ces témoignages auront besoin de se déployer tranquillement dans votre esprit avant de porter leurs fruits, plus tard. Dans tous les cas, votre poil t’appartient, que vous décidiez de l’arracher ou le caresser.
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Noémie, 29 ans
À la veille d’accoucher de son premier bébé, Noémie souhaite mettre les tabous derrière elle. Elle affirme que sa pilosité précoce (ses poils pubiens sont apparus alors qu’elle n’avait que 6 ans, entre autres) a longtemps été synonyme d’un grand manque de confiance en elle, voire de honte. Spécialistes et parents ont examiné sans relâche l'augmentation de sa pilosité à très jeune âge.
« Au primaire, je vivais des frustrations face aux commentaires et aux moqueries de mes camarades », se rappelle-t-elle. Bleach sur les bras, électrolyses et épilations récurrentes ont rapidement fait partie de son quotidien.
Dans sa vie amoureuse, Noémie fait son possible pour fréquenter des individus qui acceptent cette pilosité et n’exacerbent pas davantage ce complexe.
Jeune adulte, elle se met en colocation avec trois femmes qui s'assument : « on comparait la longueur de nos poils de jambes, on parlait de comment c’était agréable de ne pas avoir d'irritations, on riait et on dédramatisait. » Une première participation au mouvement Maipoils est ensuite libératrice. « Ça m’a donné confiance, mais ça m’a aussi un peu épuisée, car je m’étais donné le rôle d’être « porte-parole » de la liberté des poils. »
Récemment, sa grossesse l’a amené à complètement lâcher prise ; certaines parties de son corps étant devenues peu accessibles! « Je lis des témoignages de futures mamans qui s’inquiètent de ne pas être assez épilées pour leur gynéco et ça me donne envie de vomir de me dire qu’on est rendues à sauter dans la douche pour s’épiler, pendant les contractions, pour éviter de déplaire à un homme inconnu qui est là pour mettre au monde notre enfant », déplore-t-elle.
Noémie refuse de se sentir mal d’avoir des poils ou bien d’avoir envie de se raser de temps à autre. Plus que jamais connectée à son corps, elle s’autorise toutes les libertés.
Élise (prénom fictif), 38 ans
« Si je ne m'épilais pas, j'aurais le plus gros monosourcil de l'histoire. Pas de farce! », s’amuse Élise qui a commencé à s’épiler le haut du nez à 10 ans pour ne pas avoir le même look que Frida Kahlo. Deux ans plus tard, sa mère commence à l'emmener chez l’esthéticienne.
Ses poils blonds et abondants l’agacent depuis l’enfance et lui ont valu des moqueries de la part de ses frères et leurs amis qui à l’époque ne se gênaient pas pour lui dire qu’elle avait « des jambes de guenon »! Des mots qui laissent une trace.
Elle passe ensuite deux décennies à éradiquer tous les poils gênants et, elle l’avoue, à suivre à la lettre la mode du bikini intégral (ouch!). « Aujourd'hui, après des séances d'épilation au laser et des milliers de dollars investis, je m'en fais beaucoup moins avec mes poils. Les traitements ont réduit considérablement la quantité de poils sur mon corps, mais je considère aussi qu'ils sont naturels. »
La naissance de sa fille a provoqué une réflexion profonde sur les valeurs qu’elle souhaite lui transmettre. « Je veux que ma fille soit curieuse, ouverte, affirmée, qu'elle fasse des choix pour elle-même et non par pression sociale, souligne-t-elle. Avant, je percevais que la norme était un pubis impeccablement lisse. Pourtant, je vivais de l'inconfort et de la douleur en maintenant cette habitude. Alors, pourquoi s'entêter à me conformer à une norme imaginaire? En plus, ma petite verrait en moi un modèle, c'est-à-dire l'absence de poils pubiens. Et ça, ça me mettait mal à l'aise. J'imaginais son inquiétude lorsque les poils allaient pousser sur son corps d'adolescente.»
C’est donc l’image d’une femme au naturel qu’Élise incarne pour ne pas induire sa fille en erreur et qu'elle ne se sente jamais inadéquate.
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Alex, 25 ans (elle/ael)
Les poils pubiens sont également une source de bienveillance pour Alex qui a récemment posté une photo dévoilant des poils à l’entrejambe sur son compte Instagram… banni pendant quelques semaines par la suite!
Si ael assume aujourd’hui aussi fièrement ses poils, Alex parle d’une « lente déconstruction » des attentes sociales. C’est petit à petit qu’Alex s’est détourné des produits dépilatoires. Plusieurs éléments ont toutefois été essentiels tout au long de ce processus. « De me dire queer et fière, haut et fort, ça m’a vraiment permis de me sentir plus libérée des attentes hétéronormatives et du besoin de plaire au male gaze [le regard masculin dominant]. Ensuite, c’était de me désensibiliser et de changer mon utilisation d’Instagram. Suivre plus de gens qui assument leurs poils et autres trucs habituellement tabous, ça m’a permis à la longue de le faire aussi. »
Selon Alex, la pilosité est une étape cruciale vers une acceptation corporelle plus complète. Il s’agit selon ael d’arrêter de se détester et de vouloir se changer sans cesse. Lorsque des comportements de comparaison émergent, Alex tente de s’offrir de la douceur et de prendre le temps nécessaire pour se questionner.
On ne le répètera donc jamais assez : choisir les personnes que l'on suit sur nos réseaux sociaux peut être salvateur pour notre estime et notre besoin de représentation. Une invitation que je lance à celles et ceux qui ressentent de la honte et de l’anxiété à chaque fois qu’ils ouvrent Instagram.
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Vous aimez entendre les récits de femmes qui s'affirment et qui osent vivre leur vérité? Je vous recommande vivement d'écouter le balado Elles sont animé par Mélissa Bédard.