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Se tenir debout: on peut dire que c’est ce qu’a fait Léa Clermont-Dion au cours des dernières années.
Son documentaire T’as juste à porter plainte, co-réalisé avec Gianluca Della Montagna et disponible sur Noovo.ca, relate d'ailleurs le processus judiciaire de cette femme forte et engagée ayant été victime d’agression sexuelle ainsi que celui d’autres femmes victimes.
Elles allient leurs voix pour que le système les écoute et que la culture du viol se fissure enfin. Rencontre avec la réalisatrice Léa Clermont-Dion à ce sujet.
«T’as juste à porter plainte», c’est un documentaire portant sur le processus judiciaire vécu par les victimes d’agressions sexuelles. Parce que je le réalise avec mon chum, on suit mon histoire, c’est-à-dire mon processus judiciaire.
Parallèlement à cela, on a d’autres voix qui s’ajoutent, celles d’autres victimes qui ont vécu un processus judiciaire qui ont eu des expériences positives ou négatives. C’est un peu un guide de survie pour les victimes qui voudraient porter plainte.
Pour vrai, non, dans le sens où je ne pensais pas être capable de le faire. J’ai eu des doutes. Avant le procès, j’étais un peu naïve, je ne savais pas trop à quoi m’attendre et je faisais un peu du déni. Mais quand j’ai vécu le procès comme tel, il y a un moment où je me suis demandé si j’allais être capable d’aller jusqu’au bout et si j’avais le droit d’abandonner. Mais je ne pouvais pas abandonner. C’est une expérience tellement intense, je pense qu’on le ressent quand on regarde le documentaire. Il faut vraiment le voir et assister à cela pour comprendre.
Alors oui, quand j’ai terminé le procès et l’interrogatoire, je me suis dit: je ne pensais pas que j’allais être capable de tenir debout, je pensais que j’allais craquer. Mais quand on est bien appuyée, on peut se sentir forte et en confiance.
Le fait d’avoir eu un procureur et des enquêteurs qui me croyaient, me respectaient et me supportaient a fait en sorte que, bien que tout cela ait été chiant et désagréable, j’étais prête à le faire.
En fait, je serais prête à le refaire, mais je suis contente que ce soit terminé… Mais ouf, je ne vais pas pouvoir refaire cela dans ma vie, c’est certain!
Avec du recul, la longueur et les délais du processus sont parmi les éléments les plus problématiques. Pour moi, ça fait 4 ans, mais s’il y a appel, ça peut perdurer jusqu’à 5 ans. C’est trop! Il n’y a pas de raisons valables à ce que ça soit aussi long. Oui, il y a un engorgement du système de justice, ce genre de processus est long, organiser un procès est long, mais il y a des limites à tout!
J’ai développé un mécanisme de défense : je n’en parlais jamais. Cela a été une stratégie pour me protéger et vivre une vie somme toute très épanouie. Mais avec du recul et un regard extérieur, ce délai-là est inacceptable.
Il n’y a pas une victime qui devrait avoir honte d’avoir été molestée, abusée. Je suis tannée de la culpabilisation et du blâme des victimes et c’est pour cela que je me suis tenue debout. Il faut que la honte change de camp!
Mon procureur, entre autres, était extraordinaire. Maître Bérubé, je lui dois beaucoup. Il m’a donné vraiment confiance, c’est un homme qui a des valeurs très importantes et il se tient debout, alors il me donnait du courage. Même les enquêteurs étaient émotifs à la fin du processus, car on était tous dans cette quête, c’était aussi un travail d’équipe. Donc quand tu as une bonne équipe, ça aide.
Tout cela m’a réconcilié et a changé mon regard sur le système de justice — et je suis la première surprise de cela! — parce que j’ai vu les affaires derrière le système et cela permet d’humaniser. Tout n’est pas noir ou blanc.
On a donc essayé de faire un documentaire quand même nuancé, en ce sens que cela peut être parfois positif, parfois négatif comme expérience. Il y a des choses à améliorer, c’est clair, mais le fait d’avoir réellement côtoyé des gens qui effectuent ce travail m’a permis d’avoir plus confiance en ce système. Cependant, ça reste toujours une loterie…
Je pense que je n’aurai pas le choix, probablement à l’adolescence. Quand il sera question de ce genre d’enjeux et que je sentirai qu’ils auront acquis la maturité, j’aborderai la question. Ce que je veux leur transmettre comme lègue, ce sont les notions de dignité et de respect d’autrui qui sont fondamentales selon moi.
Aussi parmi les valeurs importantes que je veux diffuser, c’est qu’il n’y a pas une victime qui devrait avoir honte d’avoir été molestée, abusée. Je suis un peu tannée de la culpabilisation et du blâme des victimes et c’est pour cela que je me suis tenue debout. Il faut que la honte change de camp! C’est une discussion que je veux avoir avec eux.
Oui, parce que Julie Snyder est quelqu’un de très créatif, elle est passionnée et a les valeurs à la bonne place. Quand elle est engagée sur une cause, elle est vraiment fonceuse. Elle m’a donné du vent dans les voiles, alors que je me suis rendu compte que si je n’avais pas fait ce documentaire en parallèle de mon processus de justice, j’aurais été encore plus isolée et je n’aurais pas eu la chance de parler avec une trentaine de victimes.
Ce texto a changé ma vie parce que ça a ouvert mes œillères et m’a permis vraiment d’élargir mon cercle, de questionner, d’en parler et de briser l’isolement et le tabou en partageant mon expérience avec d’autres gens qui comprenaient: cela a été super réparateur et libérateur.
Sans l’appel et le texto de Julie Snyder, je ne me serais jamais donné le droit de faire ce documentaire.
Honnêtement, je suis très fière du documentaire, car c’est une prise de parole qui pour moi est une forme d’empowerment et j’espère que ça peut inspirer d’autres victimes qui se sentent isolées, parce qu’on n’est pas seules.
C’est aussi d’avoir été intègre à mes valeurs et de ne pas avoir abandonné, malgré les tentatives de mise sous silence qui ont été faites, car en plus de ce qu’on voit dans le documentaire, il y a eu d’autres moments d’adversité. Quand j’ai décidé de parler en 2014, il y a eu un «backlash [un contrecoup]», mais malgré cela, je ne me suis pas laissé intimider et je suis très fière de cela.
Je suis aussi fière d’avoir réalisé ce documentaire avec mon chum, le père de mes enfants, Gianluca Della Montagna, car j’avais besoin de faire ce documentaire avec quelqu’un qui me connait bien. On a trouvé un ton à la fois constructif, critique, parfois plus nuancé, parfois plus «rentre dedans». Je suis fière d’être parvenue à ce processus créatif avec lui, ça nous a unis et libérés d’un poids et j’aimerais que ça contribue à un dialogue dans la société.
Je suis quelqu’un de très optimiste dans la vie et je vois des solutions concrètes qui sont en train de se faire et pour moi le tribunal spécialisé pour les violences sexuelles, c’est une première victoire.
«T’as juste à porter plainte», le documentaire de Léa Clermont-Dion co-réalisé avec Gianluca Della Montagna est disponible sur Noovo.ca.
Le 26 octobre 2017, Léa Clermont-Dion porte plainte pour agression sexuelle, neuf ans après les faits. Il faudra quatre ans de plus pour qu'un juge rende son verdict en 2021. Pendant ce temps, l'affaire Harvey Weinstein déclenche le mouvement #MeToo, et des millions de femmes parlent enfin à visage découvert. Léa Clermont-Dion comprend qu'elle doit rendre compte de la froide réalité du droit afin que, comme elle, les survivantes de violences sexuelles se réapproprient la vérité qui leur a été confisquée.
Dans Porter plainte, elle convoque à la barre tous les acteurs de son processus judiciaire. À la fois privée et politique, sa déposition reconstitue les étapes d'un soulèvement historique qui a conduit les victimes à dénoncer la culture du viol, et interroge les procédures juridiques ignorantes de leurs revendications. Radicale d'honnêteté, et par sa volonté farouche de faire œuvre utile, cette enquête autobiographique se veut la défense qui rendra justice aux victimes de crimes sexuels.
Disponible dès le 23 octobre 2023
Les répercussions sur la santé psychologique d’un crime à caractère sexuel sont nombreuses et ne doivent pas être sous-estimées. Que vous souhaitez dénoncer, ou non, ou que vous désirez aider un proche, il est possible d’obtenir de l’aide et un accompagnement personnalisé, et ce, tout à fait gratuitement.
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