Au début du mois de décembre 2019, je suis allée voir l’exposition artistique Imagine Van Gogh avec deux autres amies célibataires, puis nous sommes allées souper. En jasant, on a eu envie de faire un petit retour sur notre année 2019. Nous en sommes venues à faire un vœu pour l’année qui allait bientôt débuter. Notre petit jeu ressemblait à ça : chacune notre tour, on devait dire, en un seul mot, ce qu’on souhaitait personnellement pour 2020. Une amie a commencé en disant « stabilité ». J’ai enchaîné avec « surprise ». Mon autre amie, pour continuer sur la lancée involontaire des mots débutant par la lettre « s » a dit, en rigolant, « sexe »!
Si je mentionne ça ici c’est parce que, quelques mois plus tard, on sait tous à quel point notre quotidien, nos sorties culturelles et, pour ma part, les soirées entre girls autour d’un verre à philosopher et à se souhaiter plein d’amour pour la nouvelle année, tout ça allait prendre le bord sans qu’on ne s’y attende. Je suis celle qui a souhaité de la surprise… Je n’aurais jamais pensé être aussi près de la réalité. Car, on va se le dire, ce nouveau coronavirus nous est tombé dessus comme une grosse mauvaise surprise.
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Changer de vie, du jour au lendemain
Je suis auteure, journaliste et rédactrice – principalement dans le domaine des arts et spectacles – depuis 16 ans. Ma vie en tant que pigiste qui travaille à la maison se résume à ça : je me lève, je m’installe derrière l’écran de mon ordinateur et j’écris, pas mal toute la journée, en pyjama et accompagnée de mon chat qui se faufile sur ma chaise de bureau. Ainsi, quand la pandémie a frappé de plein fouet le Québec et le Canada et que le gouvernement nous a mis sur « pause », mon quotidien n’a pas changé tant que ça. Le télétravail, j’en suis une habituée. Mais rapidement, j’ai vu la grande majorité de mes contrats disparaître ou, du moins, se mettre aussi sur « pause », pour quelques mois.
Seule en confinement dans mon condo (bon pas complètement seule, vive mon chat, pour vrai, sa présence fut rassurante et importante, à sa façon), j’ai commencé à faire de l’anxiété et, surtout, à ressentir un grand sentiment d’impuissance. Je voulais aider, d’une quelconque façon, mais, en même temps, je craignais cet ennemi invisible au nom si laid, cette COVID-19! Un jour, en point de presse, le premier ministre François Legault a réitéré le manque de personnel en CHSLD, ces centres de soin pour personnes âgées ayant été durement happés par le virus. Du coup, la plateforme jecontribue voyait le jour. Une de mes amies s’est empressée de s’inscrire. Mais j’hésitais, parce que la peur me grugeait encore… Mon amie a travaillé deux semaines dans un CHSLD privé où c’était le bordel total, où il n’y avait aucune organisation. Son expérience aurait dû me décourager. Au contraire, ça m’a fait réaliser à quel point le besoin d’aide était criant. Puis, je me suis dit : je suis jeune, en santé et j’habite seule (ou presque, mon chat, tsé), donc si jamais je contracte le virus, je ne risque pas de contaminer qui que ce soit à la maison.
Le 11 mai, j’ai décidé de faire le saut et j’ai rempli le formulaire d’inscription sur jecontribue. Le 12 mai, on me contactait. Quand je disais que les besoins étaient criants, je n’exagérais pas! Quelques jours plus tard, je me présentais à une formation sur l’initiation aux principes de déplacement sécuritaires des bénéficiaires, puis j’ai été appelée par un CHSLD. En fait, pas tout à fait un CHSLD ; plutôt un hébergement temporaire ouvert pour désengorger les hôpitaux, en pleine crise. Et voilà, j’avais mon affectation. Une partie de moi a eu l’impression d’avoir été appelée à la guerre, c’est bizarre…
Trouver sa zone
Anne-Marie Lobbe
Zone froide. Ouf. Savoir que j’avais la chance de travailler en zone froide, ça c’était génial. Par contre, comme j’ai été appelée par un hébergement temporaire, il n’y avait aucun préposé aux bénéficiaires de formation à cet endroit. Ma première journée de travail, j’ai appris que tous les « aides de service » (ceux qui, comme moi, n’ont pas d’expérience dans le domaine de la santé) exécutaient donc les tâches des préposés, incluant faire la toilette et donner les bains. Bien honnêtement, je ne me croyais pas capable d’entrer ainsi dans l’intimité d’une personne inconnue. J’ai lu plusieurs témoignages d’autres personnes qui, comme moi, ont dû voir et essuyer beaucoup d'excrément ou d'urine au cours des derniers mois. Ou laver des parties intimes qui ne nous appartiennent pas. Je me croyais vraiment incapable d’effectuer de telles tâches. Mais quand tu réalises que la personne devant toi a besoin de toi, qu’elle ne peut pas le faire elle-même, tu n’hésites pas une seconde et tu le fais. Du moins, mon cerveau, à moi, est rapidement passé en mode action et aide.
De la chance et des souvenirs
Comme je le soulignais, j’ai eu la chance de travailler à un endroit en zone froide (aucun cas de COVID-19 positif), une place hyper bien organisée, avec des collègues de travail vraiment sympas. Néanmoins, la sécurité était de mise : tous les matins, on prenait ma température avant de me laisser entrer. Masque, lunettes de protection, gants et jaquette constituaient mon nouveau look.
À quoi ressemblaient mes journées? Je travaillais de 7 h 30 à 15 h 30. À 8 heures, on apportait les plateaux de déjeuner aux résidents. Le dîner, lui, était fixé à midi. Ainsi, en avant-midi, c’était le moment des bains complets et des toilettes partielles. En gros, ça veut dire qu’on fait le tour des résidents pour leurs besoins d’hygiène. On devait normalement se mettre à deux pour donner un bain complet, mais je me retrouvais seule pour les toilettes partielles (à la débarbouillette).
Le reste de la journée, on répondait aux demandes des résidents qui nous réclamaient à l’aide de leur cloche. Certains avaient besoin d’aide pour aller à la toilette, certains nécessitaient qu’on change leur couche, d’autres nous faisaient signe pour les accompagner pour leur marche quotidienne. Parfois, c’était simplement pour les aider à se redresser dans leur lit, leur apporter un nouveau livre à lire ou parce qu’ils ne trouvaient pas le chargeur de leur téléphone cellulaire. Dans les périodes les plus tranquilles, on pliait des jaquettes, on remplissait de serviettes et débarbouillettes propres et de couches les meubles sur roulettes disposés dans les corridors. On changeait des lits. Voilà la liste de descriptions des tâches du quart de travail de jour, celui que j’ai effectué pendant six semaines.
Je me connais et je savais très bien, avant même de commencer ce boulot, que j’aurais de la difficulté à ne pas m’attacher aux résidents. Quand certains ont commencé à m’appeler « la p’tite blonde », je savais que c’en était fait et que je laisserais une partie de mon cœur à cet endroit pour toujours.
Anne-Marie Lobbe
Passer un après-midi avec la même résidente dont la diarrhée remplit couche après couche, non je ne connais pas une personne qui dirait que « c’est le fun ». Mais, quand je revenais de deux ou trois jours de congé, que j’allais la voir et qu’elle allait mieux et qu’elle me remerciait, ça, ça n’a pas de prix.
Jaser avec un homme qui me racontait avoir vécu la guerre dans son pays d’origine, pendant qu’un autre me montrait une photo-souvenir de lui tout juste majeur, alors qu’il était dans l’armée – notre armée.
Raconter mes plans du week-end à un résident incapable de se lever de son lit sans notre aide et qui voulait simplement savoir ce que les « jeunes » aiment faire de nos jours…
Voir un homme âgé de presque 100 ans ému aux larmes qu’on lui chante « bonne fête » et qu’on lui offre un petit gâteau.
Entrer dans une chambre le matin en disant : « Comment vous allez, aujourd’hui » et me faire répondre : « Ça va toujours bien quand c’est toi la p’tite, car t’es toujours de bonne humeur ».
C’est de tout ça dont je me souviendrai. Ça et le regard « dans le vague » d’une résidente que j’ai aidée lors de ma toute première journée en poste et qui est décédée quelques heures plus tard. C’est le seul décès qui a eu lieu durant toute la durée de mon travail à cet endroit.
Ce sont tous ces souvenirs que je garderai en tête. Leur douceur, leur beauté étonnante et frappante dans ce contexte catastrophique de la crise de la COVID-19.
Ma pandémie à moi
Est-ce que je me considère changée, transformée par cette expérience? Oui, c’est clair. Mais, je n’y vois honnêtement que du positif sur le plan personnel. C’est bizarre, je l’admets, mais je pense qu’on a tous besoin, un jour, de ce contact humain, de se dévouer à d’autres, de réaliser complètement ce qu’on a et ça, ça veut aussi dire qu’on a encore le « privilège » de notre jeunesse.
Voici comment j’ai vécu une partie de la pandémie. Chaque personne vit sa pandémie différemment. Après six semaines en CHSLD, je suis devenue, pour une partie de mon entourage, la « freak de la COVID ». C’est vrai, j’insiste pour respecter le plus que possible la distanciation, même lors de BBQ et de party de piscine. Puis, j’assume totalement que je ne suis pas 100% prête à dater dans ce contexte de pandémie. J’ai comme un malaise. Mais encore là, tout le monde vit sa pandémie à sa façon.
L’hébergement temporaire où je travaillais a fermé ses portes. Cependant, quand on a tous quitté, on m’a dit qu’il serait prêt à resservir, si deuxième vague il y a… et moi aussi. Je me surprends moi-même à dire ça, mais je serais prête à « resservir », si, ou plutôt quand, la deuxième vague frappera.
En terminant cet article, j’en viens à me demander si le résident qui avait égaré ses souliers a fini par les retrouver. On a cherché partout dans sa chambre lors de ma dernière journée de travail! Un vrai mystère.
Par souci de confidentialité, aucun nom ni lieu n’est donné dans cet article.
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