Les allégations d’inconduites sexuelles s’accumulent de jour en jour, nous étonnent ou nous déstabilisent. Toutefois, les intervenants sur le terrain voient ces dénonciations sous un autre angle, à travers leurs propres lunettes de spécialistes. Mme Annie Fournier, sexologue et Directrice clinique du CAVAC de la Montérégie, nous partage son point de vue.
Enfin, le silence se brise
Les dénonciations qui surgissent jour après jour ne surprennent pas Mme Annie Fournier, sexologue depuis plusieurs années. Les intervenants qui œuvrent auprès des victimes de crimes sexuels savent pertinemment qu’un très grand nombre, un trop grand nombre, d’individus demeurent dans le silence.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, selon le Guide d’information à l’intention des victimes d’agression sexuelle :
1 femme sur 3 a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans, alors que seulement 1 agression sexuelle sur 20 a été portée à l’attention des services policiers. Le fossé est énorme entre les deux.
Ce sont celles qui ont conservé le silence trop longtemps qui prennent aujourd’hui la parole, d’une façon ou d’une autre.
Alors qu’une culture du silence perdure depuis trop longtemps, ce qui se passe sur les réseaux sociaux, c’est un peu comme si, tout à coup, la société au grand complet disait : c’est assez, ça suffit!
Vague de dénonciations : une bonne nouvelle en soi
Les dénonciations sont donc une bonne nouvelle en soi. Et ce n’est pas étonnant que cela se produise sur les réseaux sociaux, car c’est là qu’une grande proportion de la population se trouve.
Mme Fournier, du CAVAC de la Montérégie, ne prend toutefois pas position par rapport au fait que cela se produise sur les réseaux sociaux. Pour elle, l’essentiel, c’est que les personnes qui ont subi une infraction à caractère sexuel osent briser le silence, qu’elles dénoncent leur agresseur, mais surtout qu’elles aillent chercher de l’aide.
Après un premier mouvement en 2014, #AgressionNonDénoncée, puis un second en 2017, #MoiAussi, cette 3e vague démontre que les valeurs de la société changent, qu’il y a clairement une évolution dans le domaine des dénonciations.
Mais, cela prouve également qu’il y en a encore beaucoup et qu’il faut que ça cesse.
Un fardeau qui s’allège en ayant accès aux témoignages de victimes
On peut voir le positif, comme le négatif à travers ces nombreuses dénonciations sur les réseaux sociaux, mais en aucun cas, un jugement ne devrait être porté.
Car, comme Mme Fournier nous le rappelle, les personnes victimes d’un crime sexuel portent un lourd fardeau. Elles sont très souvent prises avec un sentiment de honte, alors que c’est l’agresseur qui devrait se sentir coupable. Lorsqu’elles osent s’ouvrir à un proche, elles ne sont malheureusement pas toujours crues, ou les gestes sont minimisés, banalisés.
Le simple fait qu’elles puissent lire et entendre d’autres témoignages est libérateur. Pour plusieurs, l’isolement tombe pour une première fois. La vague actuelle produit inévitablement un effet domino, car elle offre un réconfort.
Tout à coup, on réalise qu’on n’est pas seule et que l’on n’est surtout pas responsable de la violence sexuelle que l’on a subie. En dénonçant, on aide les autres à dénoncer. La vague de dénonciation constitue en quelque sorte une vague de solidarité.
Des agressions plus nombreuses? Pas nécessairement!
En lisant toutes les dénonciations sur les réseaux sociaux, on pourrait croire qu’il y a plus que jamais des comportements d’inconduites sexuelles.
Mme Fournier explique qu’actuellement, «on observe une évolution au niveau des dévoilements, mais pas au niveau des agressions. Il y en avait avant, il y en a encore. Est-ce qu’il y en a davantage? Pas nécessairement.»
«Ce n’est pas parce qu’on entend davantage de dénonciations qu’il y a davantage d’infractions à caractère sexuel», précise Mme Fournier.
«On en parle plus, on est plus ouvert avec la sexualité, donc il est normal qu’il y ait davantage de dénonciations. Les nouvelles technologies amènent aussi de nouvelles infractions à caractère sexuel. Les agressions peuvent se faire dans différents contextes, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il y en a plus.»
Puisque les agressions sont très peu dénoncées, il est difficile de savoir s’il y a une augmentation réelle. L’augmentation semble plutôt se situer du côté des signalements à la police.
L’éducation à la sexualité : un atout essentiel
L’hypersexualisation et l’utilisation des différentes technologies engendrent également des questionnements.
Néanmoins, il ne semble pas que ces éléments aient un impact significatif sur le nombre d’agressions, selon Mme Fournier. Une bonne éducation à la sexualité s’avère cependant un élément crucial pour éviter une progression des crimes sexuels. Il y a effectivement eu un vide immense à cet effet durant les dernières années. Mais, l’éducation à la sexualité revient heureusement à l’ordre du jour dans les écoles du Québec.
Les jeunes ont accès à beaucoup d’informations sur le web. Ils sont exposés plus que jamais à la sexualité, mais ils ne savent pas pour autant comment vivre une saine sexualité. «C’est un peu comme donner une Ferrari à quelqu’un qui n’a pas de permis de conduire», mentionne Mme Fournier. En effet, ça peut être dangereux! Le retour des cours d’éducation à la sexualité constitue un atout indéniable, mais il en va du rôle de chacun de conscientiser ses enfants et ses adolescents au respect de l’autre et à l’importance du consentement.
Une dose énorme de courage pour dénoncer : le début d’un processus
Annie Fournier, sexologue, voit d’un bon œil cette vague de dénonciation, signe que notre société évolue. Mais, au-delà des dévoilements, des changements doivent avoir lieu, de l’aide doit être offerte. D’ailleurs, c’est l’une des particularités de cette récente vague. Pour une première fois, on voit des témoignages qui incitent les autres victimes à aller chercher de l’aide.
Car «cela prend un immense courage pour dénoncer» dénote Mme Fournier. Chaque personne affronte les conséquences d’une infraction à caractères sexuels avec son propre bagage et ses propres ressources. De nombreuses barrières doivent être franchies pour en arriver à un dévoilement d’un acte criminel. Mais, la dénonciation constitue uniquement le début du processus.
Mme Fournier mentionne en conclusion : «Il n’existe pas un seul chemin, chaque personne doit choisir la façon dont elle souhaite entamer ce processus. On ne le répétera jamais assez, il faut aller chercher de l’aide, il faut se tourner vers les bonnes ressources.»
Les Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) en quelques mots
Le réseau des CAVAC regroupe 17 CAVAC à travers le Québec. Vous y trouverez des équipes multidisciplinaires composées notamment de criminologues, de travailleurs sociaux, de sexologues et de psychoéducateurs. Ils sont présents afin d’accompagner toute personne qui a été victime d’un acte criminel, mais également les proches et les témoins, que ce soit tout au long d’un processus judiciaire ou pour des interventions au niveau post-traumatique et psychosociale.
Le message clé des CAVAC : «parlez-en, peu importe votre âge, votre identité ou votre expression de genre, la nature et la gravité de l’acte criminel, le moment où l’acte a eu lieu, que l’auteur de l’acte criminel ait été identifié ou non, que la personne victime ait porté plainte ou non.»
Des ressources
Si vous avez été victime d’une infraction à caractère sexuel, si vous avez été témoin, ou si vous êtes un proche d’une victime, n’hésitez pas à aller chercher de l’aide.
Téléphonez à la ligne sans frais (24/7) du gouvernement du Québec au 1 -888-933‑9007 pour discuter avec un intervenant qui saura vous conseiller et vous diriger vers les bonnes ressources.
Communiquez avec l’un des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) ou l’un des Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) de votre région.
D’autres ressources sont à votre disposition selon votre situation précise. Consultez la liste émise par le CAVAC.
Sources : Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC), Guide d’information à l’intention des victimes d’agression sexuelle.
Merci à Mme Annie Fournier, Sexologue et Directrice clinicienne au CAVAC Montérégie, d’avoir partagé son point de vue sur les dénonciations d’inconduites sexuelles sur les réseaux sociaux.