Dénoncer des inconduites sexuelles sur les réseaux sociaux peut être libérateur et mener à une prise de conscience globale au sein de la société. Toutefois, il faut savoir que des poursuites en diffamation peuvent être entamées envers les personnes qui nomment leur agresseur ou qui dévoilent leur histoire. Pour que les survivant(e)s de crimes à caractère sexuel n’aient pas un poids supplémentaire sur leurs épaules, vaut mieux connaitre les risques associés à de telles dénonciations sur la place publique.
Toute vérité n’est pas toujours bonne à écrire
Depuis le début du mois de juillet, chaque jour apporte son lot de dénonciations. Elles se font de différentes manières : des récits racontés en nommant ou non l’agresseur, un simple nom ajouté sur une liste, un article qui dénonce en détail de nombreux comportements inacceptables.
À travers ces lectures, plusieurs personnes ont pris conscience qu’elles étaient, ou qu’elles avaient été, elles aussi, victimes d’inconduites sexuelles et que ces comportements ne devaient plus être tolérés. Sous le coup de l’émotion, elles se sont ouvertes sur les réseaux sociaux alors que d’autres y ont bien réfléchi avant d’y faire une dénonciation.
Mais à travers ce flot de dénonciations, il faut comprendre les risques qui y sont associés.
On croit souvent à tort que, lorsque c’est vrai, on ne craint rien. Ce qui n’est pas toujours exact. Lorsque des déclarations sont faites et qu’elles touchent à la réputation d’un individu, ce qui est le cas de toutes les dénonciations actuelles sur les réseaux sociaux, il peut y avoir des recours en justice pour diffamation.
D’ailleurs, Me Sophie Gagnon de Juripop mentionne que de nombreuses personnes les consultent, car elles ont reçu des mises en demeure à la suite de dénonciations sur les réseaux sociaux. Ces dernières sont surprises d’apprendre qu’elles peuvent effectivement être poursuivies en diffamation, même si leurs propos sont totalement véridiques.
La diffamation, qu’est-ce que c’est?
Les propos diffamatoires peuvent être verbaux ou écrits. Dans le cas des dénonciations sur les réseaux sociaux, il s’agit bien sûr de diffamation écrite que l’on nomme également libelle diffamatoire.
Selon le Code criminel canadien, «Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée.»
Toutefois, le Code criminel canadien précise :
«Nul n’est réputé publier un libelle diffamatoire lorsqu’il prouve que la publication de la matière diffamatoire, de la façon qu’elle a été publiée, a été faite pour le bien public au moment où elle a été publiée et que la matière même était vraie.»
Néanmoins, le bien public est difficilement défendable, particulièrement du côté de la cour civile. Me Sophie Gagnon mentionne que «le bien public n’est pas circonscrit avec précision par les tribunaux.» Toute déclaration n’est pas d’intérêt public, et ce, même si la personne qui dénonce est de bonne foi.
En effet, de nombreux questionnements subsistent en ce qui a trait au bien public : de quoi s’agit-il exactement? Les dénonciations servent-elles réellement à protéger des individus? Sont-elles publiées dans un contexte adéquat? À quel moment l’intérêt public pèse-t-il davantage dans la balance que la réputation de celui qui est dénoncé?
Ce qui semble une évidence pour plusieurs ne l’est pas obligatoirement du point de vue juridique. La ligne à tracer n’est pas toujours claire. Chaque cas étant différent, chaque dénonciation également.
Des propos sur un groupe Facebook privé : à l’abri des poursuites?
Sur un groupe Facebook privé, on peut se sentir à l’abri de tout danger. Évidemment, les risques sont moindres, mais ils demeurent présents. Me Sophie Gagnon explique que lorsqu’on partage une information, que ce soit avec une seule personne, si les répercussions touchent à la réputation d’un individu, une poursuite en diffamation peut être possible.
Des déclarations, sans nommer l’agresseur
Il en va de même avec le récit qui dénonce des comportements sans pour autant nommer une personne en particulier. Si celui-ci contient suffisamment d’informations pour identifier la personne derrière ces inconduites sexuelles, encore une fois, une poursuite en diffamation s’avère possible.
Des poursuites pour diffamation : peu de risques du côté criminel, mais des poursuites pour dommages et intérêts au civil
Lorsqu’il est question de poursuites possibles en lien avec la diffamation, il s'agit surtout de poursuites au civil.
Du côté criminel, il y a peu de chance qu’une poursuite soit entamée puisque le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, en ces circonstances, l’agresseur. Ce sera à lui de démontrer hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu diffamation par les propos tenus.
Les risques réels de poursuites se situent davantage du côté civil. Dans la majorité des cas, les poursuites seront en dommages et intérêts. Il pourrait alors y avoir une obligation à verser une somme d’argent à celui qui a subi les conséquences des dénonciations.
Des déclarations publiques qui peuvent nuire à un éventuel procès
Outre les dangers associés à la diffamation, chaque déclaration faite sur les réseaux sociaux peut nuire advenant un éventuel procès. Le témoignage de la victime constitue souvent la seule preuve afin de porter des accusations puisque l’agression se déroule habituellement dans un moment d’intimité entre deux personnes, sans aucun témoin. Sa fiabilité s’avère cruciale. Des incohérences dans les déclarations antérieures peuvent semer un doute raisonnable chez le juge et compliquer inévitablement le travail des avocats de la Couronne.
Dénoncer, oui, mais choisir où et en comprenant les risques associés
Face à cette nouvelle vague de dénonciations, une prise de conscience globale et un changement des comportements au sein de la société semblent être les éléments prépondérants, au-delà des poursuites judiciaires.
Cependant, chaque histoire est unique, chaque raison qui pousse à dénoncer l’est tout autant. Tous doivent, malgré tout, être conscients des répercussions des dénonciations et choisir la bonne façon de le faire afin d’atteindre les objectifs souhaités.
Toutes les inconduites sexuelles ne doivent pas non plus être mises sur le même pied d’égalité. Des plaintes devraient être déposées à la police dans tous les cas d’agression sexuelle et de harcèlement criminel, mais cela demeure le choix de chacun. D’autre part, le débat s’avère légitime par rapport aux traitements accordés aux femmes dans certains milieux, mais aussi aux hommes, qu’il s’agisse d’abus de pouvoir ou encore d’intimidation. La façon de le faire est néanmoins d’une importance capitale afin que des résultats concrets aient lieu.
Dans tous les cas, si vous êtes victime ou que vous avez été victime d’inconduites sexuelles, ne gardez pas le silence par crainte de représailles. Pour obtenir de l'aide, téléphonez à la ligne sans frais du gouvernement du Québec au 1-888-933-9007 ou communiquez avec le CALACS ou le CAVAC de votre région. Vous pourrez échanger avec des intervenants spécialisés qui sauront vous accompagner et vous conseiller. Pour des questionnements et pour des conseils d’ordre juridique, communiquez avec Juripop.
Sources : Juripop, La Presse, Huffingtonpost.ca