J’ai déjà été journaliste pharmaceutique pendant un petit bout de temps, alors « décoder » et résumer des études sur la santé est devenu comme une seconde nature pour moi. Mais depuis quelques temps, j’ai remarqué que je suis de plus en plus mal à l’aise de parler de notion de « poids santé », qu'on retrouve souvent dans ce genre d'études.
Bon, je sais que ça peut mal paraître que j’aborde le sujet considérant que je suis une personne mince qui n’a jamais vécu de discrimination reliée à son poids. Et mon but n’est certainement pas de prendre la place des personnes concernées et de parler pour elles : je veux simplement essayer de le faire de la bonne manière, puisque c’est un sujet qui concerne tout le monde. D'autant plus que j’ai la chance d’avoir une tribune qui peut rejoindre des gens et qui sait, peut-être les faire réfléchir.
Donc je me lance : voici quelques notes et nuances que j’aimerais pouvoir ajouter en parlant de poids corporel.
Reconnaître notre grossophobie
Compte IG de @mllegeri
La première chose, c’est de réaliser que nous avons tous grandi dans une société grossophobe. Et ça va plus loin que les pensées ou les perceptions individuelles : c’est collectivement ancré en nous depuis notre plus jeune âge, même sans être nécessairement exprimé. Les enfants de 3 ans ont déjà des réflexes négatifs par rapport au surpoids et ce, selon la même proportion dans plusieurs pays.
Depuis les dernières décennies, on vit de grands changements de mentalité dans notre société; par exemple, exprimer des préjugés racistes, sexistes ou reliés à l’orientation sexuelle ne sont plus acceptables (ou du moins j’ose le croire!). Cela dit, nous aurions moins de gêne à exprimer des jugements liés au poids, c’est tout dire!
Il y a moins de lien direct entre le poids et la santé qu’on ne le croit
Compte IG de @queenryse
Plus je lis sur le sujet, plus je suis révoltée par le traitement injuste souvent réservé aux personnes tailles plus (rondes, en surpoids, grosses, je ne suis pas certaine du meilleur terme à utiliser) par le système de santé. Et encore une fois, il ne s’agit pas de pointer du doigt des personnes, mais plutôt de réaliser certains réflexes collectifs qui participent à rendre beaucoup de personnes malheureuses.
Une personne qui consulte pour un problème qui n'a aucun lien avec son poids n’a certainement pas besoin de se faire la morale sur son physique. Et que dire du système prévalent aux États-Unis où les médecins reçoivent des alertes de leur logiciel lorsqu’elles sont sur le point de voir un patient en surpoids? La raison est que les médecins doivent s’assurer d’avoir des traces écrites de leur discussion sur le poids avec leur patient, peu importe la raison de la consultation. Sans ces traces, les médecins risquent d’avoir des problèmes avec l’administration des hôpitaux et les compagnies d’assurance, et même d’être pénalisés par ceux-ci. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça me donne profondément mal au cœur.
Résultat : les personnes en surpoids ou obèses n’ont plus du tout envie de consulter, ou encore elles ne se font pas traiter selon leurs besoins.
Et le pire est que tout cela est basé sur une notion complètement fausse : celle que le surpoids et la santé sont irréconciliables. En réalité, c’est loin d’être le cas : une bonne proportion des personnes en surpoids sont en santé et même en forme. Même s’il y a plein de nuances à faire là-dedans évidemment, une chose est certaine : le poids seul n’est pas un indicateur de santé.
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Dans les dernières années, la recherche a d''ailleurs permis d’établir que le problème est beaucoup plus complexe qu’il n’apparaissait au départ. Entre autres, les facteurs suivants ont une valeur importante dans le poids d'une personne, au-delà de ses comportements personnels :
- Il existe une combinaison de choses qui établissent notre le poids corporel, comme nos hormones et notre microbiote;
- Notre poids est loin d'être déterminé uniquement par la « balance énergétique », c'est-à-dire les calories ingérées vs les calories dépensées;
- Les individus naissent souvent avec un certain poids « programmé » duquel il est extrêmement difficile de déroger;
- Toute la société dans laquelle nous vivons possède un côté éminemment « obésogène », qui dépasse des habitudes individuelles.
TOUT le monde a droit au plus profond respect
Compte IG de @fatlilunicorn
La notion voulant qu’une personne plus ronde le soit par sa faute n’est pas un fait, mais plutôt un jugement. Car c’est beaucoup plus complexe que ça, et être naturellement mince n’est pas non plus un signe de mérite ni même de santé. Tout cela est lié à de nombreux facteurs sur lesquels on a peu de contrôle.
La stigmatisation, la discrimination, les préjugés, les sermons et le fat shaming ne vont jamais conduire à des retombées positives. Je suggère de les remplacer par de l'empathie, du respect et de la compassion, des traits qui vont toujours réussir à nous rassembler en tant qu'êtres humains.
En 2022, il ne faut plus « fitter » dans le moule; il est plutôt temps de faire éclater ce moule en mille miettes!
Il y a différentes écoles de pensée
Compte IG de @tellementswell
Alors que certains médecins crient haut et fort qu’il faudrait abolir le fameux indice de poids corporel, d’autres continuent de penser que ça fait partie des responsabilités personnelles, tout en reconnaissant qu’il y a d’autres facteurs.
Et les opinions diffèrent même parmi la communauté; deux filles que j’aime beaucoup suivre, soit Gabrielle Lisa Collard du blogue Dix Octobre et Eve Martel de Tellement Swell, ne tiennent pas du tout le même discours là-dessus. Pour Gabrielle, le seul fait de vouloir maigrir est grossophobe (lisez son article rempli de nuances avant de former un jugement), tandis qu'Eve relate au quotidien sa volonté de perdre du poids, avec ses hauts et ses bas.
Les deux le font pourtant d’une manière toute aussi honnête, transparente et admirable.
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La représentation est primordiale
Compte IG de @jessicaprdnc
Je crois que le plus important restera toujours de voir le plus de types de corps possibles dans la sphère publique.
Et pas des représentations où les personnes rondes sont dans une situation négative, mais plutôt dans un contexte positif. Ou encore mieux, complètement neutre : comme si le poids n’était tout simplement plus le focus au profit de toutes les autres qualités de la personne.
Il y a toujours eu une grande diversité de corps dans la société, mais jusqu’à tout récemment, on en voyait seulement une infime partie dans les médias, et tout ce qui dérogeait était souvent traité comme une caricature. C’est juste une question mathématique : plus cela sera exposé dans la population, plus cela sera normal.
Plus de représentation ne peut qu'avoir un impact positif, autant sur l’estime de soi des individus que sur la grossophobie ambiante.
Alors, peut-on encore parler de « poids santé » en 2022?
Compte IG de @marialuxee
Il va continuer d’avoir des notions de poids santé dans les études et dans les discussions avec les professionnels de la santé… Le poids va continuer d’être un marqueur de santé pour toutes sortes de raisons, qu’on le veuille ou non.
Et si on élargissait la notion de poids santé un peu? Dans cet article du Québec-Science, la diététiste Nadia Bujold parle plutôt de « poids bonheur » et ça semble résumer exactement ce que j’avais en tête. Parce que tout le monde a son propre poids santé…
Et celui-ci n’est peut-être pas le même que celui de l’indice de masse corporelle sur lesquels se fient les médecins, mais so what? Ce serait plutôt le poids auquel vous vous sentez bien, vous avez plus d’énergie, vous avez plus le goût de bouger…
L’idée n’est pas nécessairement de viser un objectif irréaliste, juste de s’approprier cet aspect le mieux possible et seulement si on en a envie bien sûr. Qu’en pensez-vous?
Le balado Elles sont – Le Body Shaming
Dans le balado Elles sont, un épisode donne la parole à deux femmes qui vivent avec des corps différents.
Elles sont est un balado est original de Noovo Moi qui donne la parole à des personnes ayant pour point commun d'avoir des parcours atypiques. Le balado est animé par la merveilleuse Mélissa Bédard, qui dans l’épisode 10, discute avec Andréanne, qui s’applique depuis plusieurs années à démystifier le corps de la femme taille plus et Justine, qui « vient d’une longue lignée de minuscules petites femmes » et qui a souvent eu du mal à se faire prendre au sérieux.
Écoutez l'épisode «Elles sont»: Diversité corporelle - fat et skinny shaming
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