On ne peut passer sous silence ce qui se passe aux États-Unis, depuis la mort de George Floyd. Manifestations, émeutes, surenchère de la Maison Blanche, ambiance survoltée sur les réseaux sociaux et phénomène du #blackouttuesday se sont succédés depuis une semaine. Comment s’y retrouver et qu’en est-il réellement?
Le racisme systémique
Qu’est-ce que ça veut dire exactement, le racisme systémique? C’est le concept selon lequel le racisme dépasse les actes et les comportements entre les individus et est plutôt érigé en système. Dans nos sociétés, la supériorité des Blancs est présumée en tout temps, partout. Cette présumée supériorité est instaurée autant dans les institutions que dans l’idéologie.
Pour les personnes qui n’appartient pas à la majorité blanche, en plus des préjugés, cela signifie qu’elles subissent constamment des difficultés invisibles : moins d’opportunités d’emploi, plus d’embûches à trouver un logement décent, moins d’avancement de carrière, plus de difficulté à établir sa crédibilité dans quelque domaine que ce soit, moins d’accès à la richesse matérielle… Mais aussi plus de chance de se faire appréhender par les forces de l’ordre, de ne pas recevoir d’aussi bons suivis médicaux et même d’effectuer un séjour en prison.
Le racisme systémique est comme une prophétie auto-réalisatrice : moins de chances au départ signifie plus de pauvreté, plus de pauvreté signifie développer des problèmes sociaux, des problèmes sociaux signifient plus d’incarcération… Puis l’histoire se répète.
Le racisme systémique est un problème extrêmement complexe, qui ne pourra pas être réglé du jour au lendemain parce qu’il demande des réformes profondes et complètes : du système scolaire, judiciaire, médical, carcéral etc. Mais une chose est sûre, c’est que ne pas en parler et refuser de le reconnaître c’est y contribuer. Aucun vrai changement ne peut se produire à moins que tout le monde s’unisse pour prendre la parole –comme pour beaucoup de mécanismes néfastes, dans ce cas le silence est complice.
Un contexte explosif
L’outrage complètement justifié face au meurtre de George Floyd par un policier à Minneapolis (ce dernier a été arrêté et accusé de meurtre au 3e degré mais les 3 autres agents qui ont assisté à la scène sans rien faire sont toujours exempts de sanction) n’était que la goutte qui a fait déborder le vase. Quand on y pense, tout était mûr pour que la situation dégénère aussi vite et à ce point.
La même journée que l’assassinat de Floyd, une femme blanche a fait les manchettes à New York, pour avoir appelé les policiers en disant qu’un homme noir «menaçait sa vie» alors qu’il observait les oiseaux et lui avait simplement demandé d’attacher son chien.
Deux semaines plus tôt, Ahmaud Arbery, un jeune homme de 25 ans qui faisait son jogging en Géorgie, a été tué par balle par deux hommes blancs –un ancien policier et son fils. Quelques jours avant encore, Breonna Taylor, une ambulancière de 26 ans de Louisville, a été tuée par des policiers alors qu’elle dormait dans son lit. Ces quelques noms ne sont que les derniers d’une liste qui ne cesse de s’allonger depuis quelques années, et qui inclut entres autres Tamir Rice, un enfant de 12 ans qui jouait dans un parc à Cleveland. Et même si les policiers tuent encore plus de Blancs, il reste que ce tragique décompte n’est pas proportionnel : les Noirs ont 2 fois ½ plus de risque de mourir suite à une intervention policière[1].
S’ajoute encore à ceci le contexte de la pandémie de COVID-19, qui a révélé l’inégalité profonde des Américains à ce sujet : les Noirs sont en effet 4 fois plus susceptibles que les Blancs de mourir de la maladie[2]. Il n’existe pourtant pas de facteurs biologiques qui peuvent expliquer ceci, mais c'est plutôt le résultat de facteurs sociaux… Les Noirs sont moins aptes à effectuer la distanciation sociale pour toutes sortes de raison : travail essentiel, mais non-valorisé et sans protection, déplacements dans les transports en commun, habitation en groupe serré, etc.
Il faut également ajouter que depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Donald Trump a largement contribué au climat de division et de dissension que l’on peut constater à l’heure actuelle!
Attention avant de condamner les manifestants
Toutes les autorités, incluant Barack Obama, ont condamné la violence et le pillage qui a eu lieu dans la dernière semaine un peu partout aux États-Unis. Par contre, l’ancien Président l’a fait avec l’intelligence, la sensibilité et la finesse toute en nuances qu’on lui connaît. Son propos mérite qu’on s’y attarde avant de porter des jugements.
«Tout d’abord, la vague de protestations représente une frustration véritable et légitime, à propos d’un échec qui dure depuis des décennies, émanant de cette incapacité à réformer les pratiques policières ainsi que le système de justice criminel aux États-Unis. L’immense majorité des manifestants ont été pacifiques, courageux, responsables et inspirants. Ils méritent notre respect et notre support, pas notre condamnation.
Toutefois, la petite minorité de gens qui ont fait preuve de violence sous diverses formes, que ce soit par colère véritable ou simplement par opportunisme, mettent en danger des personnes innocentes, tout en aggravant la destruction de quartiers qui sont souvent déjà pauvres en services et en détournant l’attention sur la cause plus large.
N’excusons donc pas la violence, ne la rationalisons pas et n’y participons pas. Si nous voulons que notre système de justice criminel et que la société américaine au sens large opèrent selon un code moral plus éthique, nous devons également montrer l’exemple en utilisant ce code nous-mêmes[3].»
La violence ne sera jamais acceptable, mais il ne faudrait pas que ça éloigne les gens de la légitimité de cette profonde colère du peuple.
Le racisme est bien présent au Canada, aussi
C’est facile de regarder ce qui se passe aux États-Unis et de trouver que ça n’a «donc» pas de bon sens, que ça n’arriverait jamais ici! Et dans un sens c’est vrai; la situation au Canada n’est pas aussi terrible, pour différentes raisons. Sauf qu’il ne faudrait certainement pas croire que nous sommes exempts de ces problèmes ici, que ce soit le racisme systémique, le profilage racial ou la brutalité policière! Le problème est différent et n’est peut-être pas aussi flagrant, aussi «au grand jour».
Mais il reste qu’en tant que société, nous devons également reconnaître nos propres problèmes ainsi que nos propres injustices et y faire face. Ça demeure inacceptable que les hommes noirs soient 5 fois plus susceptibles de se faire interpeller par la police à Montréal que les blancs (les Autochtones 4 fois plus et les personnes arabes 2 fois plus)[4].
Un appel à la solidarité
Il ne s’agit pas d’un conflit entre les Noirs et les Blancs, mais plutôt d’un combat entre tous les êtres humains vs les racistes. Et iI n’y a tout simplement plus de place pour le 2e camp.
L’écoute, l’empathie et la solidarité sont plus que jamais de mise et c’est le devoir de tous de dénoncer et de s’insurger contre le racisme systémique et contre toutes ces violences et ces injustices perpétrées contre des êtres humains. Voici comment devenir de meilleurs alliés; nous pouvons tous y arriver.