On passe la majorité de nos journées au travail à côtoyer les mêmes personnes, il est donc normal de développer des amitiés plus fortes avec certains.
Mais au-delà du besoin naturel de connecter avec les autres, on aborde peu l’autre côté de la médaille, c’est-à-dire les situations où certains liens personnels entre collègues peuvent mener à des tensions, des « clans », des conflits d’intérêts, etc. Pourtant, tout ceci existe et se voit même très férquemment dans les milieux de travail.
Alors les amitiés au travail, c'est sain ou non? On fait le point.
Se faire des amis au travail, c’est inestimable...
Un sondage mené par le site d’emploi Comparably auprès de 33 000 travailleurs est clair : les employés qui ont au moins un ami au travail se sentent jusqu’à 7 fois plus engagés dans leur vie professionnelle que ceux qui n’en n’ont pas.
La preuve que se faire des amis au travail est très courant est que la majorité des répondants à ce sondage ont affirmé avoir tissé des liens personnels avec leurs collèges : 60 % des femmes et 56 % des hommes avaient un(e) « ami(e) proche » à la job.
« Les amis au travail sont une composante importante de la vie professionnelle », a même affirmé Jason Nazar, chef de la direction de Comparably. Selon lui, les problèmes liés au travail sont souvent « la plus grande source de stress » dans la vie des gens, donc « avoir quelqu’un envers qui se tourner et partager les bons comme les moins bons moments est inestimable ».
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...Mais développer des amitiés très fortes n'est pas nécessairement une bonne idée
La psychologue industrielle Amy Copper Hakim croit par contre qu’il ne faut pas non plus trop s’investir dans les relations personnelles au travail. Attention : elle ne dit pas d’éviter de créer des liens, mais simplement qu’il est important de bien comprendre les limites de ce type de relation.
Elle pense bien sûr qu’il est important d’être amical, gentil et ouvert avec ses collègues, puisque dans un département où les gens s’entendent bien, le moral des troupes est souvent bien meilleur et les gens sont souvent plus heureux.
Elle affirme aussi que c’est bien correct de partager certains détails de notre vie avec nos collègues de travail, ou d’aller dîner au resto avec eux, mais elle conseille quand même d’éviter de les inclure dans ta vie personnelle, en les invitant dans un party ou à un événement spécial par exemple.
Son raisonnement est que comme un milieu de travail demeure toujours compétitif, des amitiés très proches pourraient changer la dynamique et même finir par te nuire. Par exemple, si tu obtiens une promotion mais que les autres n’en ont pas, cela pourrait créer du ressentiment et dans un tel contexte, certaines anecdotes du passé pourraient même refaire surface et être utilisés contre toi (par exemple : vous vous êtes déjà plaint que vous n'étiez pas bien et que vous songiez à partir).
Avoir des amis parmi vos employés pourrait d'ailleurs vous placer dans une situation étrange, puisque vous ne voudriez pas avoir l’air de favoriser certaines personnes dans l'équipe plus que d’autres.
Hakim évoque d’autres situations problématiques qui peuvent se produire, par exemple si un bon ami de travail devient votre patron; disons que négocier une augmentation de salaire ou discuter franchement d’un point à améliorer devient dans ce cas plus compliqué...
Les amitiés vues par les patrons
Pour la direction, qui n’interagit souvent pas au quotidien avec l’ensemble des employés, l’opinion sur les travailleurs est souvent liée à des perceptions, qu’elles soient vraies ou pas. Et les collègues aux relations très proches ne sont habituellement pas très bien vus par les dirigeants…
D’abord, parce que ça peut donner une impression que les employés priorisent le fait de « passer du temps ensemble » plutôt que de travailler et qu’ils sont donc moins productifs. Aussi, la perception de « cliques » peut soulever des questions et des inquiétudes : est-ce d'autres employés se sentent exclus et vivent mal avec ça? Est-ce que certaines personnes, dans une dynamique de groupe serré, agissent un peu comme des manipulateurs et même des intimidateurs (ça arrive plus souvent qu’on pense)? Est-ce que cela crée une atmosphère où le commérage, les rumeurs et les « coups dans le dos » sont courants?
Une autre possibilité : si votre ami(e) collègue est moins valorisé(e) et apprécié(e) par la direction pour différentes raisons, cette mauvaise perception pourrait rejaillir sur vous, même si vous êtes en fait une employée modèle.
Faire attention aux cycles négatifs
Lorsqu’on est proche de ses collègues et qu’on est dans une relation de grande confiance, « ventiler » avec eux sur les patrons, sur les deadlines impossibles ou sur les décisions exécutives insensées peut faire du bien, de temps en temps.
Mais souvent, ce qui peut arriver est que la dynamique de groupe tombe dans une atmosphère beaucoup plus sombre, où ça devient le seul sujet de conversation et que chacun « s’encourage » à maintenir un climat qui devient négatif, voire même toxique.
La thérapeute industrielle Miriam Kirkmayer affirme que même si dans ce genre de situation on a l’impression de renforcer nos amitiés, ce qui se produit réellement est que notre propre bien-être et notre satisfaction en sont affectés, pouvant rapidement mener à des sentiments dépressifs et anxieux.
Reconnaître cette dynamique quand elle s’installe et établir des limites demeure alors important. Par exemple, ce peut être tout simplement en prenant de légères distances pendant un temps avec certains collègues, tout en demeurant honnête envers eux sur le pourquoi de ta décision. C’est possible de dire : « C’est vrai que les conditions sont difficiles ces temps-ci et vous savez que je vous soutiens là-dedans. Mais je me rends compte qu’en parler sans arrêt ne m’aide pas, au contraire. J’ai donc simplement besoin de me changer un peu les idées, alors j’ai décidé d’aller au gym le midi. »
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L'amité au travail en temps de pandémie
Comme tant de choses, la pandémie a fondamentalement changé le travail, incluant l'aspect des amitiés sur la job. En présentiel, le port du masque, l'absence d'occasions sociales connexes et les autres mesures ont mis à mal la possibilité de se côtoyer d'une manière plus relax et propice aux échanges... Et en virtuel, la distance physique a même carrément empêché les gens de se voir!
Et bien sûr que les plateformes comme Zoom, Messenger, Slack et autres peuvent permettre aux collègues de se parler... Mais c'est bien évident que ce n'est pas pareil. De plus, on dirait qu'à distance, les gens se sentent beaucoup plus coupables de prendre un peu de temps pour jaser d'autre chose que le travail, alors qu'au bureau ce genre de petite pause autour de la machine à café aurait été parfaitement naturelle et normale!
On peut difficilement changer la situation, mais c'est clair que ce facteur comme bien d'autres a contribué encore plus à l'isolement et à la fragilité psychologique que ressentent une bonne proportion de gens après presque 2 ans de pandémie.
Malgré tout, il demeure possible de tisser des liens avec des collègues (après tout, ce sont eux les gens qu'on voit le plus à part les gens avec qui on vit!) Ça peut être simplement en prenant quelques minutes pour leur écrire ou se faire une petite vidéo en privé, en leur demandant comment ils(elles) vont, leur faire un petit compliment, leur demander un conseil sur autre chose que leur expertise professionnelle ou encore juste leur rappeler que vous êtes là (« Hé je voulais te dire qu'aujourd'hui j'ai pensé à toi en allant me chercher un latte, je m'ennuie de quand on le faisait ensemble, » etc. En attendant de retrouver ces amitiés, ce genre de petite attention permet au moins de ne pas perdre le contact.
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Les règles non-écrites des amitiés au travail
Considérant que passer ses journées avec des gens qu’on n’apprécie pas du tout peut être très difficile sur le moral, c’est certain qu’avoir de bonnes relations avec ses collègues est ultra important. Et que comme dans n’importe quel milieu, développer des amitiés peut devenir inévitable!
Pour éviter le plus possible les mauvais côtés, c’est une bonne idée de garder ces quelques « règles » en tête.
- Les relations avec le(la) patron(ne) sont toujours plus touchées. Même si vous avez plein de points en commun et que vous vous entendez super bien, il ne faut pas oublier qu'il s’agit d’une relation de pouvoir et que ça reste votre boss. Il ne faut pas forcer ce genre de relation, qui demeure toujours plus délicate qu’avec quelqu’un au même niveau hiérarchique.
- Prendre votre temps. Peut-être bien que votre collègue va finir par devenir ta meilleure amie pour la vie (et c’est super!), mais c’est important de laisser les relations se développer naturellement, avec le temps et une connaissance mutuelle approfondie. Si vous hésitez à l’inviter à votre fête parce que n'êtes pas certaine de sa réaction, c’est peut-être un signe que c'est mieux d'attendre.
- Ne pas oublier que l’important, c’est le travail. Ça ne veut pas dire de ne pas avoir de fun et ça ne veut certainement pas dire de mal traiter tes collègues, mais il reste que ce n’est pas non plus un club social. Une attitude professionnelle devrait primer en tout temps.
- Être vous-même. Ne pas sentir que vous avez besoin d’agir d’une certaine manière pour plaire à certaines personnes ou pour « fitter » dans la culture d’entreprise, c’est le signe d’une grande force d’esprit. De cette manière, vous ne deviendrez peut-être pas meilleure amie avec tout le monde, mais c’est correct. Et au moins, vous serez authentique et transparente en tout temps.
- Éviter les clans. Vous n'êtes plus en secondaire 2, dieu merci, alors c'est le temps de montrer aux autres votre belle maturité. Refusez la dynamique de clique qui exclut les autres et qui crée probablement des tensions au sein de l’équipe. Avoir quelques personnes avec qui vous vous sentez plus proche est normal et c’est correct de passer du temps avec eux, mais c'est important d'essayer de connaître aussi les autres, d’inviter plus de personnes à ta table de dîner ou de rendre des services à tout le monde quand c’est possible.