On choisit l’endroit où on vit pour différentes raisons : pour le travail ou les études, pour le quartier, pour le mode de vie. Parfois, on ne choisit pas vraiment : on demeure à l’endroit où on est né ou arrivé enfant sans se poser de questions et puis c’est tout!
Je viens du Saguenay et je suis déménagée à Montréal à la fin de l’adolescence – j’en rêvais déjà depuis longtemps, de la grande ville. Après une décennie toutefois, je suis partie en banlieue alors que je me considérais pourtant comme très urbaine : mon amoureux (encore aujourd’hui) y avait déjà une maison, alors le choix s’est imposé de lui-même. La vie de banlieue a été douce avec moi, malgré les préjugés que je pouvais avoir : j’ai pu mitiger plusieurs de ses désagréments en ajustant mes circonstances. Je travaille à la maison, donc le trafic m’affecte très peu. Je dois prendre ma voiture pour presque tout, mais comme j’ai une auto électrique, je peux au moins le faire de façon à la fois économique et écologique.
Montréal étant très proche, je pouvais aussi quand même profiter de ses avantages et j’y allais en moyenne quelques fois par semaine. La dernière fois de la vie « d’avant », c’était à la fin-février. Puis, le monde a rapetissé : durant le confinement, il s’est plutôt limité à mon quartier, à quelques exceptions près. Et bien franchement, la pandémie m’a fait considérer la banlieue sous un nouveau jour : pour la première fois en 15 ans, je ne voyais pas le fait de vivre ici comme étant neutre (voire négatif dans l’idée de plusieurs personnes de la ville), mais plutôt comme une grande chance. Celle d'avoir échappé à l'épicentre canadien de COVID-19.
À quelques 20 minutes de Montréal, c’était comme un autre univers : un où chacun avait suffisamment d’espace dans la maison pour s’endurer 24/7, où c’était possible de respecter la distanciation physique en tout temps, de prendre de l’air à volonté pour se changer les idées dans un bel environnement, ainsi que d’éviter beaucoup de situations anxiogènes.
Suite à ça, je me suis posée la question : est-ce que la situation vécue dans les derniers mois a fait amorcer une réflexion sur l’endroit où ils vivaient chez d’autres personnes aussi? Est-ce que ça pourrait même être assez pour les faire changer de mode de vie?
Quelques témoignages
La première chose qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est un post de la bloggeuse Ève Martel, en plein cœur du confinement. Ève, c’est probablement la personne la plus urbaine que je connaisse : célibataire, sans enfants, toujours d’un bord et de l’autre, vivant au cœur de la ville dans un loft de rêve situé dans une ancienne biscuiterie.
C’était aussi la dernière personne que j’aurais pensé entendre dire que « tout ceci lui avait fait réaliser qu’elle ne vivait pas au bon endroit… Et qu’elle devait redoubler d’efforts pour concrétiser son projet « maison », afin qu’elle puisse enfin avoir un espace extérieur à elle et recevoir sa famille et ses amis de manière sécuritaire. »
Elle n’est apparemment pas seule : la bloggeuse Béatrice Bernard-Poulin, qui vit aussi seule dans un mignon petit condo du Vieux-Montréal, a même déserté la ville le mois dernier. Destination : la maison de ses parents en banlieue, ou plutôt leur VR stationné dans l’entrée pour bien respecter les règles! Jamais Béatrice n’avait pensé faire une chose pareille, elle qui était partie depuis « plus de la moitié de sa vie ». Elle a vécu le confinement difficilement, n’en revenant pas de s’être retrouvée dans le « lieu le plus affecté au pays » et elle n’est pratiquement pas sortie jusqu’au début mai. Puis, l’isolement s’est fait sentir mais « si je voulais être dehors, je devais absolument aller dans un lieu public avec des gens qui faisaient comme si la COVID n’existe pas ».
Fâchée et anxieuse de voir son quartier touristique assailli par les gens qui ignoraient complètement les recommandations, son réflexe a été de fuir. Pour elle, la banlieue est temporaire, mais il reste qu’elle lui a permis de respirer : « J’ai pu jaser avec des gens, profiter de l’extérieur sans stress et même inviter une amie à souper à deux mètres de distance. »
L’humoriste Anne-Marie Dupras, elle, s’est réfugiée à son chalet autosuffisant « au milieu de nulle part » (dans Lanaudière) et elle y est restée pendant tout le temps de la crise, jusqu’à ce jour. Elle n’a pas hésité à faire quelques compromis sur le confort (elle n’a même pas de four au chalet et son électricité doit être rationnée!) pour pouvoir profiter de l’espace et de l’isolation.
Ayant toujours vécu à Montréal, elle trouve cette pause salutaire, ayant le temps de profiter du lac, de la nature et se découvrant même des talents comme celui de jardiner! Être au chalet lui « a fait réaliser à quel point tout va trop vite » et depuis la pandémie, elle remet même en question son « besoin » de la ville. Elle se sent « bien plus en santé en campagne, physiquement et mentalement ».
Quand la ville devient un piège
En fait, le phénomène est généralisé : partout dans les grandes villes et encore plus dans celles qui ont été durement touchées par la COVID, il y a présentement un exode, ou en tout cas un changement de mentalité. En temps normal, pour ceux qui choisissent d’y vivre, la ville représente un monde de possibilités, de choses à faire et d’options...
Mais la pandémie a plutôt révélé l’envers de la médaille : le fait qu’elles prennent un peu leurs habitants « au piège » en temps de crise. « C’est maintenant évident, si ça ne l’était pas auparavant, qu’habiter en ville peut être mauvais pour la santé. La densité des contacts sociaux dans les zones urbaines les rendent propices à la propagation des maladies infectieuses, » a écrit l’expert en relations internationales Parag Khanna dans le magazine Politico. Je trouve cela très vrai, à quel point ma perspective a changé durant les derniers mois... Par exemple, les plus gros désavantages que j'ai toujours trouvé dans « mon » Saguenay d'amour, comme l'éloignement et l'isolement de la région, se sont clairement révélés comme des avantages au vue de la pandémie.
Pourquoi le réflexe de partir?
Au Québec, le confinement n’a pas été aussi restrictif qu’à bien des endroits, où le shelter en place a été mis en force et contrôlé par les autorités… Et des millions de personnes n'ont littéralement pas pu sortir de leur (habituellement petit) appartement, pendant des semaines. « Deux mois de confinement dans leur deux-pièces ont révélé avec une clarté étonnante ce qui était important pour le couple; après 16 ans à vivre à San Francisco, elles sont maintenant parties vivre dans une maison rurale de la Vallée de l’Hudson [dans l’État de New York], où elles auront de la place pour élever des poules, » donne comme exemple représentatif le Washington Post, dans un récent article sur le phénomène.
« Avant ceci, tout le monde se disait « Je n’ai pas besoin d’une grande maison, je n’ai pas besoin d’un grand terrain… Je veux être « riche » de par mon mode de vie, » a avancé dans le même article Alison Bernstein, qui est à la tête d'une compagnie d'aide à la relocalisation. « Mais tout à coup, les gens réalisent la valeur d’une maison avec un grand terrain. C’est réellement ce que tout le monde veut en ce moment. »
« La pandémie nous a induit une peur des rapprochements », ajoute Eric Klinenberg, qui est professeur de sociologie à NYU. « Et vivre en ville signifie se trouver dans un environnement dense, où être physiquement près les uns des autres est obligé. Ça sera peut-être difficile de revenir de ce fait. »
Les crises provoquent souvent des changements
La COVID-19 a elle-même provoqué des changements : perte d’emploi qui peut demander une relocalisation par exemple, ou possibilité de travailler de la maison indéfiniment (ou presque).
Mais même au-delà des paramètres de la crise, la pause a suscité bien des remises en question chez beaucoup de gens, qui pensent maintenant changer leur milieu de vie. Je n’ai pas pu mettre la main sur des statistiques officielles pour le Québec, mais selon ce que j'observe autour de moi, le marché immobilier dans la couronne de Montréal semble en feu en ce moment! Dans mon quartier, TOUTES les maisons à vendre sont parties (j'essaie de trouver des exceptions mais il ne semble réellement pas en avoir) dès que la crise s'est résorbé, certaines en seulement quelques jours, signalant une activité pour le moins inhabituelle. Une amie, la semaine dernière, a mis en vente son bungalow sur la Rive-Sud. Elle a eu 19 demandes de visite en quelques heures, puis a vendu en 2 jours, avec surenchère. Je lui ai demandé quel était le profil des gens qui sont venus visiter... Sa réponse, sans même que je lui parle de cet article : « Petites familles de Montréal. Effet COVID. » Finalement, une collègue, qui vient d'acheter sur la Rive-Nord, m'a avoué avoir eu « beaucoup de mal à trouver... Toutes les maisons avaient une dizaine d'offres chacune en moyenne! »*
Aux États-Unis en tout cas (où, pour le meilleur ou pour le pire, c'est souvent plus facile de trouver des données qu'ici, étant donné le volume de population) cette tendance se confirme... Selon le site d’immobilier Redfin, dans les derniers mois les gens ont cherché des maisons dans des petites villes deux fois plus que l’an passé.
Il y a plusieurs raisons pourquoi quelqu’un voudrait maintenant quitter la ville ou à tout le moins déménager et elles sont toutes valables. On peut penser entre autres à celles-ci :
- Désirer plus d’espace pour soi-même
- Vouloir un endroit plus confortable/agréable pour vivre (lorsqu’on y passe soudainement beaucoup plus de temps, ça devient important)
- Donner à sa famille (à deux ou à quatre pattes) plus de place pour bouger et s'étendre
- Être plus près de la nature et connecter avec celle-ci
- Accroitre son autosuffisance (les potagers de quarantaine et les fameuses poules!)
- Être plus à l’aise pour travailler à la maison
- Avoir un chez soi qui s’accorde plus à un hobby découvert en confinement (que ce soit le jardinage, la cuisine, la menuiserie, la musique…)
- Retourner aux études ou réorienter sa carrière
- Simplifier sa vie, par exemple ne plus passer de temps dans le trafic ou les transports en commun
- Se rapprocher des gens qu’on aime, comme des parents vieillissants.
Alors, verra-t-on un exode des villes du Québec, ou encore un grand nombre de déménagements COVID? C’est à suivre dans les prochains mois et même les prochaines années, mais le phénomène est drôlement intéressant en tout cas…
*Il faut quand même souligner qu'une part de cette activité est due au fait que le marché a été sur pause pendant quelques mois... C'est donc normal qu'il y a un rattrapage après. Mais j'aurais tendance à penser que le niveau d'activité actuel est tout de même franchement au-delà de ça.