Jusqu’où notre employeur peut-il aller dans sa manière de nous dicter comment nous habiller?
Est-ce qu’un employeur peut obliger le port d’un uniforme? Peut-il nous empêcher de porter certains vêtements et/ou accessoires? Qu’est-ce qu’on fait si on se sent lésé?
Avec le retour au bureau après deux ans de télétravail en raison de la pandémie de COVID-19, on répond à toutes ces questions.
Est-ce que l'employeur peut exiger qu’un(e) employé(e) porte un uniforme (ou un type de vêtements en particulier)?
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En gros, oui.
Et l’uniforme peut prendre un sens différent selon certains emplois : ce peut-être simplement un t-shirt, un sarrau ou un tablier. Ce peut-être des vêtements « de ville », mais qui sont déterminés par l’employeur et qui sont portés par tout le monde. Ce peut aussi être un uniforme dans le sens plus traditionnel du terme : vêtements médicaux pour le personnel hospitalier, vêtements de travail d’un policier ou d'une policière, etc.
De manière plus large, sans aller jusqu’à l’uniforme, un employeur peut imposer un code vestimentaire sur les heures de travail (exemple : pas d’espadrilles ou de jeans).
Qu'est-ce que la loi sur les normes du travail dit à ce sujet?
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La loi sur les normes du travail est claire là-dessus : « Il est généralement reconnu en droit du travail que l'employeur a le droit de fixer des exigences quant à la tenue vestimentaire de ses employé(e)s : cela fait partie de son droit de gérance et la désobéissance à cette règle peut conduire à l'imposition de mesures disciplinaires, allant même jusqu'au congédiement ».
Par contre, et c’est important de le savoir, s’il y a un uniforme exigé par l’employeur, ce dernier n’a pas le droit de le faire payer à l’employé(e) qui est au salaire minimum : « L'employeur ne peut exiger une somme d'argent d'un(e) salarié(e) pour l'achat, l'usage ou l'entretien d'un vêtement particulier qui aurait pour effet que la personne salariée reçoive moins que le salaire minimum ».
Pour les cas où il ne s’agit pas d’un uniforme en tant que tel, mais plutôt de « vêtements particuliers », par exemple un vendeur ou une vendeuse dans un magasin de vêtements qui doit uniquement porter des articles provenant de ce magasin durant les heures de travail, c’est la même chose : la loi stipule que « l'employeur ne peut exiger d'un(e) salarié(e) l'achat de vêtements ou d'accessoires dont il fait le commerce ».
Sur quoi l’employeur se base-t-il pour établir les règles vestimentaires ou d’apparence?
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La loi prévoit aussi que l’entreprise doit avoir des motifs « légitimes et importants » pour établir une politique vestimentaire et que celle-ci doit « faire atteinte aux droits fondamentaux des employé(e)s le moins possible ».
Les motifs peuvent être les suivants :
- Sécurité au travail
- Hygiène et salubrité
- Image en lien avec la clientèle
- Image corporative
Les deux premières raisons sont plus claires et évidentes : on comprend pourquoi un travailleur ou une travaillleuse de la construction doit porter un casque et des bottes à cap d’acier, de même qu’on comprend pourquoi un(e) employé(e) de la cuisine d’un restaurant doit porter un filet, un chapeau et/ou des gants.
Les deux derniers motifs portent plus à interprétation et s’appliquent à un plus grand nombre d’employé(e)s de tous les secteurs. C’est souvent là où se produisent les litiges, parce que les attentes envers quelqu’un qui travaille dans une bibliothèque, un concessionnaire automobile, un bureau, une école ou un magasin de détail peuvent être très, très variables.
On ne peut nier que le port d’un uniforme (même juste d’un t-shirt) comporte effectivement des avantages pour les entreprises; par exemple, ça permet aux client(e)s de reconnaître immédiatement qui sont les employé(e)s (« image en lien avec la clientèle »).
Mais pour ce qui est de « l’image corporative », c’est là où il peut y avoir le plus d’interprétation. Pour certaines compagnies, avoir des employé(e)s dont les vêtements sont propres peut suffire, tandis que pour d’autres, la sphère de « ce qui est acceptable » est beaucoup plus restreinte.
Quels sont les droits des travailleurs et des travailleuses quant au code vestimentaire?
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Une chose est sûre, c’est que la politique doit s’appliquer de manière égale pour tous les employé(e)s. Sinon, il y a matière à discrimination.
Par exemple, demander aux femmes de porter spécifiquement des talons hauts peut être discriminatoire étant donné que les hommes ne sont pas sujets à cette règle. Mais attention : c’est possible et légal que la politique vestimentaire soit différente pour les femmes que celle pour les hommes.
Ce qui n’est pas légal, c’est que la politique impose une plus grande charge aux femmes qu’aux hommes. Donc, une entreprise pourrait demander aux serveuses de porter une jupe plutôt qu’un pantalon. Mais elle ne peut pas exiger que les serveuses se maquillent, se fassent une mise en plis et aient les ongles manucurés, tandis que toutes ces règles ne s’appliquent pas aux serveurs.
D'ailleurs, j'ai déjà écrit un article sur le sujet, spécifiquement en lien avec les employés de bars et de restaurants. Il reste que c’est probablement le secteur où les droits des travailleuses peuvent être les plus bafoués.
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Quels sont les autres facteurs importants à considérer?
1. La nature de l’emploi
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Il existe d’autres règles qui sont plutôt reliées au type d’emploi et que l’entreprise peut mettre en place. Par exemple, si c’est pour un travail d’été qui se déroulera à l’extérieur, l’entreprise peut interdire les sandales ouvertes. Ou sur une chaine de production dans une usine, le port d’une combinaison et de chaussures spécifiques peut être obligatoire.
2. Le type d’industrie
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En général, les règles vestimentaires reliées à l’apparence sont moins strictes qu’avant : par exemple, il est désormais rare qu'une personne associe encore les tatouages aux motards ou au fait d’être un paria social.
Par contre, certaines industries demeurent encore beaucoup plus conservatrices que d’autres : c’est le cas entre autres du secteur financier et du secteur légal.
Est-ce que ça veut dire que vous ne pouvez pas travailler pour une banque si vous avez des tatouages? Bien sûr que non. Cela dit, l’entreprise va peut-être vous demander de porter des manches longues pour les dissimuler.
3. La culture vestimentaire
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Bien sûr, au-delà de l’industrie, chaque entreprise a sa propre culture, qui peut être très variable. Ayant travaillé dans différentes entreprises dans le domaine de l’informatique, c’était particulièrement criant.
Dans un endroit en particulier, les programmeurs et les programmeuses pouvaient bien venir en pyjama si ça leur tentait, en autant qu’ils et elles se présentent… Et les flip-flops durant l’été n’ont jamais fait sourciller personne. Par contre, dans une autre entreprise, il n’était PAS QUESTION de mettre des jeans, à part quelques fois par année, et seulement en faisant un don à un organisme de charité.
Est-ce que c'est obligatoire de se conformer aux règles?
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La ligne est parfois mince entre exprimer son individualité et respecter les politiques de la compagnie. Et je comprends que ces politiques ou ces règles peuvent n’avoir aucun sens pour certaines personnes. Mais selon l’avocate spécialisée en droit du travail Me Marianne Plamondon, c’est toujours mieux « d’obéir d’abord, puis se plaindre ensuite ».
Donc, un(e) employé(e) qui a reçu un avertissement à ce sujet et qui ne corrige pas le tir peut risquer une suspension et après quelques fois, il ou elle peut même être congédié(e) juste pour ça.
Si vous tenez à votre emploi, respectez les règles sur le moment. Mais c’est bien correct par la suite de challenger ces règles par les instances prévues!
Quels sont les recours des travailleurs et des travailleuses?
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C’est toujours mieux de prévenir que de guérir : avant d’être embauché(e) quelque part, posez des questions sur les politiques vestimentaires. Il ne faut jamais présumer de rien.
Ce ne serait probablement plus le cas aujourd’hui, mais lors d'un emploi d’étudiante que j'ai eu dans une épicerie, je me suis déjà fait avertir à cause de mon vernis à ongles bleu. L’employeur préférait « des teintes plus neutres ». Ce n’est pas strictement une question d’habillement non plus; si vous pensez vous faire teindre les cheveux en rose ou à avoir un piercing au visage, demandez avant si ça marche pour l’entreprise
Une fois embauché(e), si vous avez des précisions à demander ou que vous croyez que vous avez été traité(e) injustement, la première étape est d’en parler au département des ressources humaines. En général, l’entreprise devrait être prête à faire certaines accommodations si elles sont justifiées.
S’il y a un litige, la procédure est différente selon le type d’emploi. Si vous êtes syndiqué(e), un arbitre des griefs va prendre le dossier en charge. Pour les employé(e)s non-syndiqué(e)s, leur recours est plutôt de porter plainte à la Commission des droits de la personne. Il y a généralement deux motifs : entrave à la liberté d’expression (exemple : ça brime profondément votre liberté de ne pas pouvoir avoir les cheveux arc-en-ciel) ou entrave au droit à la dignité (l’entreprise veut vous faire porter un uniforme extrêmement sexualisé qui vous dégoûte).
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