Si vous venez d’ailleurs que du Saguenay-Lac-St-Jean, il y a peut-être des chances que vous ayez déjà insulté un bleuet à mort… Juste en prononçant le mot tourtière. En référant à un petit pâté rond dans un moule à tarte, bien sûr.
Alors je vais annoncer d’emblée mes couleurs: je suis saguenéenne d’origine, donc je suis partielle dans ce débat.
Mais en même temps, je suis aussi partie de ma région depuis 25 ans et je n’ai pas l’impression que ma vie en dépend… Ce qui fait donc AUSSI de moi une experte, bien positionnée pour en parler sans devenir trop émotive à propos d’un simple plat traditionnel du temps des Fêtes!
Mais attention, ce sujet qui pourrait sembler très léger, c’est quand même du sérieux. Certaines personnes le prennent TRÈS personnel, et ça ne sert à rien d’essayer de les faire changer d’idée. Pourquoi, d’ailleurs?
Et bien d’abord je crois que les mets traditionnels, ça touche souvent quelque chose de très profond, chez les gens. C’est plus que de la bouffe; ça touche aux traditions, à la nostalgie, aux occasions spéciales sacrées avec ceux et celles qu’on aime, à l’identité, même.
Alors je vais vous dire un petit secret: ce désaccord de nomenclature, il n’a rien à voir avec les mets en question. Il a plutôt à voir avec une certaine fierté (peut-être pas toujours parfaitement bien exprimée) et une certaine blessure liée à la perception d’un manque de reconnaissance.
La prochaine fois que vous avez ce débat et que vous vous obstinez à ce propos avec votre entourage (ou des inconnus sur les réseaux sociaux), pensez-y. Peut-être que ça vous aidera à consciemment faire preuve d’un peu d’esprit des Fêtes et à… Donner raison une fois pour toutes à votre beau-frère qui vient du Lac. ✨
Alors, c’est quoi la différence entre une tourtière, un pâté à la viande et un cipaille? Voyons voir.
Tout d’abord, les ressemblances
C’est important de se le rappeler, on ne parle pas de mets tous totalement disparates et différents. La tourtière, le pâté à la viande et le cipaille sont tous les trois:
- Des mets traditionnels fortement associés au temps des Fêtes;
- Des recettes d'origine populaire (c’est-à-dire qui n’ont pas été inventées ou popularisées par des grands chefs);
- Des déclinaisons de viande + pâte à tarte, donc tous des plats en croûte;
- Des mets qui appartiennent au même paradigme, c’est-à-dire qu’ils sont tous 3 simples, basés sur des ingrédients vraiment «de base» (viande, pâte, pommes de terre, oignon), sans utiliser beaucoup d’aromates ni chercher à être particulièrement complexes ou raffinés.
Qu’une certaine confusion règne entre les trois, selon les régions et les familles, ce n’est pas si étonnant que ça, quand on y pense un peu. Ça vaut AUSSI la peine de s’y arrêter, avant de se déchirer pour le nom. ✌️ Comme humains, ça vaut toujours mieux de miser sur ce qui nous assemble que ce qui nous déchire.
Le cipaille
Aussi parfois appelé cipâte, le nom de ce mets qui est vraisemblablement apparu en premier au Québec a deux possibles origines.
D’abord, ça viendrait de «sea pie», en anglais: ou pâté de la mer, puisque ce type de pâté était consommé en Angleterre et s’est frayé un chemin jusqu’à ici à travers les bateaux qui amenaient les colons. (Et pas, comme on pourrait le croire, parce que ce pâté était assemblé avec des produits de la mer –plutôt parce qu’il avait voyagé, au sens figuré, par celle-ci).
L’autre origine vient d’un quiproquo linguistique, selon Jean-Pierre Lemasson, auteur de L’incroyable odyssée de la tourtière. En effet, en entendant «sea pie», certains Canadiens français ont plutôt compris «six-pâtes», ce qui a donné lieu à la multiplication des couches de pâte dans ce pâté.
Le cipâte est un pâté profond, habituellement fait dans une grande cocotte –donc, pour nourrir une armée. Il est plus associé aux jours de fête, particulièrement aux célébrations de Noël et du Jour de l’An.
Le cipâte a plutôt hérité de la tradition anglaise des tourtes.
En bref:
- Fait dans un plus gros récipient, donc pour nourrir «une armée»
- Pâté profond
- Doit passer de nombreuses heures au four (jusqu’à 10)
- Présence d’une couche de pâte entre chaque étage de viande et de pommes de terre
- Viande et patates en cubes.
À lire aussi: 5 idées de menus et recettes pour réinventer le souper de Noël
Le pâté à la viande
Le pâté à la viande a lui plutôt hérité de la tradition française des tourtes, qui étaient plus modestes. Sa principale différence par rapport aux deux autres mets, c’est d’abord qu’il est plus petit: habituellement, il est fait dans un moule à tarte.
L’autre différence majeure, c’est qu’il contient de la viande hachée, pas des cubes qui sont longuement mijotés. Il peut parfois contenir aussi des pommes de terre (je pense que j’ai vu ça une fois?), mais plutôt rarement.
Donc:
- 4 à 6 portions. Si on veut nourrir plusieurs personnes avec ça en plat principal, il faut en faire plusieurs.
- Moule à tarte = peu profond
- Viande hachée
- Cuit rapidement, c’est-à-dire en moins d’une heure
- Des 3, c’est le mets le plus susceptible d’être consommé toute l’année pour des repas de tous les jours, sans nécessairement la grande pompe des festivités.
Oui, je sais que ceci décrit parfaitement ce que beaucoup de gens au Québec considèrent comme «une tourtière». Mais je ne crois pas que le fait de l’avoir appris ainsi est un bon argument pour continuer d’utiliser le «mauvais» terme.
Pâté à la viande me semble beaucoup plus juste pour décrire ce mets, qui calque le nom d’autres «tourtes» salées: pâté au poulet, pâté au saumon... Pourquoi celui à la viande aurait un nom différent? Et surtout pourquoi persisterait-il à s’appeler d’un nom différent alors que ce nom réfère déjà à un autre plat (et qu’il heurte la sensibilité de bien du monde)?
«Pâté à la viande» est également la locution utilisée en anglais, soit: meat pie (qui existe sous différentes variations au Royaume-Uni).
À lire aussi: Pâté à la «viande» (tourtière) végé
La tourtière
J’entends par là ce que beaucoup de gens appellent «la tourtière du Lac (-St-Jean)», bien entendu.
Une «tourtière», à l’origine, c’était le plat dans lequel on faisait… des tourtes. C’est-à-dire des préparations de viande en croûte, entre deux abaisses de pâte. L’archétype de ces tourtes était d’ailleurs consommé en France comme en Angleterre, dès le Moyen-Âge.
Historiquement, ce mets, avec cette forme et le nom spécifique de «tourtière» pour le désigner, serait apparu après les autres, dans un passé plus récent. Rien d’étonnant quand on y pense, puisque le Saguenay-Lac-St-Jean est une région «jeune» comparée à bien d’autres.
La tourtière ressemble beaucoup plus au cipaille, et la raison en est simple: on faisait du «cipâte/cipaille» à Noël dans Charlevoix, d’où proviennent les premiers colons qui ont défriché le Sag-Lac, soit la région voisine. Sauf qu’arrivé au Saguenay-Lac-St-Jean, les couches de pâte supplémentaires sont disparues, et le plat a changé de nom, pour des raisons assez nébuleuses.
Alors, récapitulons:
- Fait dans un plus gros récipient, donc aussi pour nourrir «une armée»
- Pâté profond
- Doit passer de nombreuses heures au four (facilement 5-6, voire plus)
- Viande et patates en cubes
- Seulement deux couches de pâte entre plusieurs étages de viande et de patates
- Contient souvent du gibier (quand j’étais petite chez nous, comme mon grand-père chassait, il y avait toujours du lièvre et de la perdrix).
Peu importe comment vous appelez ça, je vous souhaite de joyeuses fêtes dans l’harmonie. Et je propose de détourner le débat vers la VRAIE question: avec ou sans ketchup?
Recommandé pour vous:
- 10 menus originaux à servir sur une planche pour un effet WOW
- Nos 22 meilleures recettes pour les Fêtes
- 8 repas différents de la dinde pour Noël ou le jour de l'An
Consulter tous les contenus de Marie-Ève Laforte