À quelques jours d’avis seulement, en mars, le Québec (comme la majorité des pays du monde) s’est «mis sur pause» en raison de la COVID-19. Tous les commerces non-essentiels ont été fermés, les gens sont restés le plus possible à la maison, les contacts sociaux ont été réduits au maximum.
Ça a certainement contribué à sauver des vies –et à éviter une surcharge dans les hôpitaux, qui était le but premier. Sauf que… Ce confinement n’est pas sans prix.
Une détérioration marquée de la santé mentale
Et le coût est économique, bien sûr, mais aussi lié à la santé mentale. La plupart des gens souffrent d’une manière ou d’une autre de la distanciation sociale, mais certains beaucoup plus que d’autres! Différents sondages effectués récemment sont évocateurs sur ce point : selon cette source, la moitié des Canadiens avait signalé une détérioration de leur santé mentale, et ces chiffres sont même appuyés par cette autre source, qui indique que 56 % des Canadiens trouvaient que l’isolement social avait eu un impact néfaste sur leur santé mentale. C’est énorme et il ne serait pas surprenant que cet effet négatif se poursuive à moyen ou même à long terme : «Je pense même que ça aura un impact beaucoup plus important sur les gens que nous le croyons», a avancé Gordon Flett, professeur en personnalité et santé à l’Université York de Toronto[1].
N’ayons pas peur de l’avouer : l’isolement et la distanciation sociale ne sont vraiment pas naturels ni sains pour les êtres humains! Si bien que le fait d’avoir des contacts sociaux riches et significatifs est un facteur majeur de la longévité, selon l’école de médecine de l’Université Harvard à Boston[2].
Mais pas de répit pour le virus dans un horizon proche
Pourtant, malgré ces effets psychologiques, il est primordial de comprendre qu’un retour à la normale complet n’est toujours pas envisageable à court ou même à moyen terme. Sans mesures de contrôle, la COVID-19 pourrait avoir des conséquences dévastatrices généralisées dans notre société : non seulement en termes de morts et d’excès de la capacité de notre système de santé, mais également en termes d’absentéisme, de logistique, de chaine d’approvisionnement, etc.
Si beaucoup de gens se mettent à faire «comme si de rien n’était», sous le prétexte (compréhensible et fondamentalement humain) que ça leur fait du bien au moral, l’impact serait tout simplement désastreux, préviennent les experts.
Mais… Selon cet article fort intéressant publié dans le magazine américain The Atlantic, il n’y a pas seulement deux choix tranchés, c’est-à-dire soit s’enfermer à la maison jusqu’en 2022 ou soit reprendre exactement la vie comme avant!
La manière «d’avoir une vie» pendant la pandémie se trouve en fait entre les deux. Selon l’auteure du texte, Julia Marcus, qui est professeure de médecine de la population à Harvard, «le risque [de contracter le virus] n’est pas binaire… Et une approche «tout ou rien» en matière de prévention des maladies peut aussi avoir des conséquences non souhaitables[3]».
Pour tout lire sur la COVID-19, c'est ici.
L’exemple de l’épidémie du SIDA
Marcus fait un parallèle intriguant avec une autre épidémie marquante de l’histoire récente : celle du SIDA qui, rappelons-le, a tué environ 32 millions personnes depuis une quarantaine d’années[4]. En 1983, autour du VIH, la confusion et la peur régnaient, en particulier dans la communauté gaie.
Et le seul conseil que recevaient les personnes de cette communauté, très à risque, était «d’éviter tout contact sexuel». Complètement à contre-courant, deux activistes américains appuyés par un médecin virologue ont plutôt publié un texte aujourd’hui considéré comme fondamental et intitulé : «Comment avoir des rapports sexuels pendant une épidémie».
Ce que ce document mettait de l’avant, c’est le fait que prôner l’abstinence comme seule solution ne fonctionnait pas comme approche. En effet, selon Marcus, «les experts en santé publique savent depuis des décennies que le message «d’abstinence totale» ne fonctionne pas, ni pour le sexe, ni pour la consommation [d’alcool ou de drogues][5]. »
Ce message ne peut donc pas fonctionner non plus pour ce qui est de la distanciation sociale complète et prolongée, durant cette période de pandémie liée au coronavirus!
Une approche plus nuancée
Le succès du document destiné à la communauté gaie au début du SIDA résidait plutôt dans quelques élément-clés :
- Viser plutôt le «risque faible» que l’absence de risque dans la vie courante
- Identifier et différencier des comportements «à faible risque», «à risque moyen» et à «haut risque»
- Bien expliquer les moyens existants de mitiger les risques
- Accepter que malgré tout ce que l’on sait, certaines personnes continueront de s’exposer volontairement à des niveaux de risque élevés.
Ce qui est étonnant, c’est à quel point tous ces éléments, élaborés autour du contexte du SIDA, s’appliquent aussi à notre situation actuelle! Et que cette approche plus réaliste et nuancée a beaucoup plus de chance d’être respectée par la population.
Comment continuer à vivre en minimisant les risques?
Ne plus voir personne jusqu’à ce que tout le monde (ou presque) soit vacciné, ce n’est pas une option viable pour la majorité des gens. Mais il y a toujours moyen de contrôler ses risques, tout en reprenant des éléments importants de la vie d’avant.
Considérant que le risque de transmission semble beaucoup plus élevé à l’intérieur et dans les endroits avec une grande proximité et une exposition plus prolongée (par rapport à un passage rapide), les autorités pourraient repenser les espaces publics, autant extérieurs qu’intérieurs, par exemple pour permettre d’éviter les rassemblements, d’améliorer la ventilation et de rendre la distanciation physique possible, explique Marcus.
Une autre piste à envisager, selon l’experte, est de considérer le ratio entre les bénéfices et les risques, et de permettre des activités « sociales » à faible risque (comme quelques personnes à l’extérieur qui se rencontrent pour faire du sport), mais qui font réellement du bien aux gens concernés.
Le plus important, ajoute Marcus, reste d’éviter de « faire honte » ou de dénoncer systématiquement tout comportement déviant un tant soit peu des recommandations ou ce qui est subjectivement considéré comme « la seule voie morale possible ». Il est toujours plus efficace de procurer des outils pour mitiger les risques à la place. Par exemple, en s’assurant que les personnes se rencontrent à l’extérieur et portent des masques plutôt que de croire que l’interdiction pure et simple est suffisante.