Ce n'est jamais très agréable quand on sent que quelqu'un quelque part a eu un jugement défavorable à notre égard. On aimerait plaire à tous, tout le temps. Pourtant, c'est impossible. Dès qu'on rencontre quelqu'un, on juge. Parfois favorablement, d'autres fois malheureusement défavorablement. Mais comment peut-on arriver à vivre avec le jugement d'autrui sans se sentir toujours dévalorisé? Marc-André Richard, psychologue, nous éclaire sur la question.
Canal Vie : La peur du jugement est-elle une peur fondée?
La peur que nous ressentons avise notre corps qu'il y a un danger dans notre environnement. Mais parfois ce danger n'existe pas, c'est moi qui pense qu'il y a un danger. Dans le cas d'une peur du jugement, c'est ce phénomène qui se produit. La menace n'existe pas vraiment. Elle est plutôt engendrée par que je pense de moi-même et ce que je pense que les autres vont penser de moi; je crains donc leur réaction. Mais si je l'affronte, je me rends bien compte que la menace n'existe pas, elle est plutôt créée de toutes pièces par moi-même.
Canal Vie : D'où vient la peur du jugement?
En psychologie, on questionne beaucoup les causes et les origines de la peur du jugement. On peut seulement faire des hypothèses puisqu'il n'y a pas de preuve assurée. C'est pour cela d'ailleurs qu'il existe toutes sortes de théories et d'approches en psychologie.
On pense, entre autres, qu'une certaine partie serait héréditaire - les gens naîtraient avec une prédisposition biologique à développer dans leur vie de l'anxiété ou certaines peurs, dont la peur du jugement.
Une autre cause serait reliée à l'éducation, surtout celle des premières années de vie - qu'est-ce que je perçois qui est important pour les gens qui me sont proches.
Une autre cause encore serait bien sûr reliée aux expériences que l'on vit. À l'enfance et surtout à l'adolescence, on vit parfois des expériences difficiles, on se fait critiquer et on subit bien souvent le jugement négatif des autres.
Canal Vie : Comment peut-on se débarrasser de la peur du jugement?
Ce qu'on va souvent conseiller aux gens, c'est d'abord de tenir un carnet d'observation sous forme de journal personnel pour y noter leurs peurs du jugement des autres sans changer quoi que ce soit à leur comportement. On leur suggère cette approche dans un premier temps afin qu'ils prennent davantage conscience de leur peur, notent les circonstances au moment où ils ont vécu leur peur ou le type de personne qui y ont pris part. En effet, ce n'est pas nécessairement face à toutes les personnes qu'on éprouve une peur d'être jugé; il peut s'agir des personnes du sexe opposé, des personnes d'autorité, des vieux, des jeunes ou encore de l'ensemble des gens. C'est très commun d'avoir peur du jugement de l'ensemble des gens qu'on rencontre.
Prendre des notes
Donc la première étape c'est de prendre des notes, particulièrement sur ce que je me dis à moi-même. Par exemple est-ce que je me dis : « Bon, ça y est je me sens mal en dedans de moi, l'autre personne va certainement le remarquer et me trouver inadéquat, incompétent ou inintéressant. » C'est le genre de discours qui est très présent chez les personnes qui souffrent de la peur du jugement. C'est pourquoi il est important de les noter, de les enregistrer afin de travailler sur cet aspect par la suite.
Affronter
La seconde étape, c'est d'affronter la situation qui me fait peur. Plus je l'évite, ce qui est la réaction normale de l'être humain - se sauver de ce qui lui fait peur - plus ma peur augmente. Donc, inévitablement, si je veux me débarrasser d'une peur, je dois affronter la situation. Bien sûr, on suggère de l'affronter de façon progressive. On ne conseille pas de choisir la pire des situations, comme aller dans une conférence devant 500 personnes, si on a peur du jugement des autres. « Je vais trouver cela très éprouvant et ça va me convaincre que je ne suis pas capable. » On doit d'abord commencer par affronter une conversation avec notre voisin ou une demande auprès d'une personne étrangère et essayer progressivement d'apprivoiser cette peur-là.
Comprendre et modifier ses pensées
Toutefois, on ne peut se limiter à ne faire que ça, on doit aussi s'attaquer à ce qu'on se dit à soi-même. On ne suggère pas de remplacer nos pensées par d'autres pensées, mais plutôt de questionner le discours interne qu'on tient.
- « Est-ce que c'est vrai? Est-ce que mes pensées sont fondées sur des faits. »
Par exemple si je me dis :
- « Les autres vont remarquer que je tremble quand je suis nerveux »,
il faut que je fasse suivre cette affirmation de la question :
- « Est-ce que c'est vrai? Est-ce que quelqu'un m'a déjà dit que je tremblais quand je m'exprimais? »
Probablement que non.
Donc, on réalise que notre pensée n'est pas basée sur des faits. Et c'est à ce moment-là qu'on modifie notre façon de penser. Je vais changer ma pensée de :
- « Les autres vont se rendre compte de mon tremblement »
à :
- « Oui, peut-être que je tremble, mais les autres ne s'en rendent pas compte »
La deuxième question est :
- « Si effectivement les autres se rendent compte du fait que je tremble, est-ce que vraiment la personne va penser des choses négatives sur moi? Est-ce qu'elle va penser que je suis une personne émotive, faible et qui ne peut pas contrôler ses émotions? »
Et dans un troisième temps :
- « Si effectivement la personne se rend compte que je tremble, et qu'elle pense des choses négatives de moi, est-ce que c'est si dramatique dans ma vie? Est-ce vraiment dramatique que je ne sois pas parfait dans toutes les occasions? »
Ce sont donc les genres de questions qu'on suggère aux gens de se poser sur les pensées et les idées qu'ils ont remarquées avoir lorsqu'ils éprouvent une peur du jugement.
Canal Vie : La peur du jugement vient-elle d'un manque de confiance en soi?
Oui, en effet, souvent on retrouve, à la base de la peur du jugement, une pauvre estime de soi. Il faut donc voir à travailler sur cet aspect, se voir autrement, se considérer autrement.
La technique du sondage
Des fois, on suggère des moyens comme la technique du sondage qui consiste à demander à quatre ou cinq personnes autour de nous, des proches, d'écrire comment ils nous voient, nos qualités nos défauts. Ensuite, on peut comparer ces commentaires avec ce que l'on pense de soi-même; les gens sont parfois surpris de savoir ce que l'on pense d'eux. Ils n'osent pas leur demander parce qu'ils sont certains que la réponse est négative. Cet exercice leur permet donc de changer leur perception d'eux-mêmes.
Tolérance envers soi-même
On va aussi recommander aux gens de se parler comme il parlerait à leur meilleur ami. Est-ce qu'on dirait à notre meilleur ami avant d'aller dans une fête :
- « Je suis certain que tu vas être poche, tu vas mal te conduire, tu vas faire plein d'erreurs et tout le monde va se moquer de toi? »
Si la personne a des difficultés, on ne lui dirait jamais ça. On lui dirait plutôt :
- « Laisse tomber les idées que tu as, viens on va y aller, on verra là-bas comment ça va se dérouler et puis on avisera ensuite. »
On essaierait de l'encourager et de le soutenir. Il faut donc essayer de se comporter avec soi-même comme on se comporterait avec son meilleur ami, se parler autrement et s'encourager plutôt que de se taper dessus, et pour cela il est nécessaire de porter attention à ce qu'on se dit avant, pendant et après une situation.
Canal Vie : Comment peut-on prévenir la peur du jugement chez les enfants?
Ne pas juger en tant que parent
Lorsqu'un parent se demande ce qu'il peut faire pour ne pas que son enfant soit affecté par la peur du jugement, il faut d'abord que le parent lui-même ne porte pas continuellement de jugement sur son entourage.
Ne pas être trop exigeant envers son enfant
Ensuite, faut essayer de ne pas être trop exigeant envers son enfant. La peur du jugement vient bien souvent d'exigences trop élevées qu'un parent a eues envers son enfant, ce qui peut aussi mener à du perfectionnisme. Mais parfois, le parent peut observer une peur du jugement chez son enfant, malgré qu'il ne soit pas porté à juger les autres ou encore à être trop exigeant envers lui. Cela pourrait peut-être s'expliquer par une situation vécue à l'école ou même à la garderie ou la maternelle.
Très tôt, on observe que les enfants peuvent être très durs les uns envers les autres, pas toujours par méchanceté par contre. Ils se disent les vraies choses de façon très spontanée et directe. Parfois, pour des enfants qui sont peut-être plus sensibles, cette attitude peut être blessante ou provoquer chez eux un sentiment de rejet.
Lui parler
Il serait donc essentiel de favoriser la communication avec cet enfant, tout dépendant de son âge, afin de parler de ce qu'il ressent lorsque ce genre de situation arrive. Parler aussi de ses peurs : est-ce qu'il craint l'agressivité des autres enfants, verbale ou physique, ou encore d'être ridiculisé? Ensuite, il s'agit de le faire cheminer grâce aux questions suggérées précédemment (est-ce que le danger existe vraiment, etc.) et de démystifier avec lui la situation et la peur qu'elle engendre.
Canal Vie : Donc, on peut en quelque sorte être moins sensible au jugement si on y travaille?
Oui, on constate que la peur du jugement diminue avec l'âge, ce qui n'est malheureusement pas le cas de tous les problèmes d'anxiété. D'une part, il faut noter que la peur du jugement existe chez tous les êtres humains ou presque, et c'est tant mieux, parce que c'est ce qui nous permet de mieux vivre en société. En effet, les gens qui ne se préoccupent nullement de l'opinion d'autrui ont bien souvent des problèmes beaucoup plus graves. Tenir compte du jugement de l'autre permet donc de mieux socialiser. Par contre, c'est lorsque la crainte du jugement devient trop intense que cela devient nuisible.
Toutefois, si la personne a un niveau modéré de peur du jugement et si elle ne fait pas trop d'évitement et qu'elle affronte les situations, elle développera une certaine confiance en elle, qu'elle en soit consciente ou non. Ainsi, une inquiétude que l'on pouvait avoir plus jeune, diminuera progressivement au gré des expériences de la vie et habituellement, la peur s'en ira presque complètement, malgré qu'on en garde toujours quelques traces.
Cette désensibilisation se produit en grande partie parce qu'on peut effectivement vérifier qu'il n'y a pas de réelle menace; que le jugement négatif, si on le subit, ne nous détruit pas et n'a pas l'effet dévastateur que l'on appréhendait et surtout, que bien souvent, on ne subit même pas de jugement négatif; les autres sont bien plus souvent tolérants et compréhensifs envers nous qu'exigeants.