C'était la nuit la plus attendue de la Terre. C'était la nuit de Noël. Emma, trop excitée par la venue du père Noël, avait trouvé refuge dans le divan à côté de la télévision. Face au sapin de Noël, elle avait pu s'endormir en regardant les lumières scintiller devant elle, rêvant aux cadeaux qu'elle aurait sûrement puisqu'elle avait été sage, très sage.
Mais cette nuit n'allait pas être comme les autres. À minuit sonnant, Emma fut tirée de son sommeil, tout d'abord par une porte qu'on ouvre et qu'on referme, ensuite par des pas de bottes sur le plancher de bois franc, par le froissement de papiers non loin d'elle, mais surtout par un bruit tonitruant et sourd. Son coeur se mit à battre très fort. Quelqu'un était près d'elle. Se pouvait-il que ce soit le père Noël? Pourtant, depuis sept ans, Emma n'avait jamais eu l'honneur de le rencontrer, mais peut-être que cette nuit allait être encore plus magique que les autres?
Elle retira la doudou de son visage et observa la scène. Un gros bonhomme rouge, vêtu d'un bonnet rouge et blanc, d'une large ceinture et de bottes noires était là, de dos à elle, et remplissait le dessous de son arbre de cadeaux de tous les formats. Emma ouvrit les yeux davantage, ayant peine à croire ce qu'elle voyait! C'était bien lui, le père Noël, SON père Noël qui venait déposer pour elle les jouets qu'elle avait demandés.
Mais alors qu'il se pencha vers l'avant pour sortir le plus gros cadeau et le déposer devant lui, son pantalon se fendit en deux, laissant voir quelques bribes de son caleçon blanc. Emma ne put s'empêcher de laisser s'échapper un rire qu'elle étouffa pourtant sous les couvertures dont elle s'était recouverte à nouveau. Elle ne voulait pas se faire entendre! Embarrassé, le père Noël se retourna en posant sa main sur son postérieur. À son entrée, comme le divan était de dos à la porte et face au sapin, il n'avait pas vu cette masse informe enfouie sous un tas de couvertures. Il observa quelques secondes le divan, mais rien ne bougea. Il poursuivit donc sa tâche et déposa le dernier cadeau, puis se récompensa en avalant les trois biscuits qu'Emma et son papa avaient préparés tout juste pour lui.
Il se régala littéralement. De nature très gourmande, le père Noël adorait les biscuits et gâteaux de toutes sortes. Toutefois, son ventre, lui, n'apprécia pas. Très tendu, il fit éclater un bouton du manteau du père Noël. Ce dernier, conscient de la problématique, ronchonna. Mais le bruit de mitraillettes qui retentit de son arrière-train fit éclater de rire Emma qui, cette fois-ci ne put se retenir. Le père Noël venait de péter...
Voyant que, non seulement une petite fille l'avait découvert, mais en plus dans ces conditions, le père Noël rougit comme pas un. Son costume et son visage ne faisaient plus qu'un, rouges de partout.
- Mais qui est là? Est-ce toi Emma?
La fillette, craintive de la réaction du père Noël, hésita avant de sortir la tête des couvertures. Après tout, une petite fille sage devait dormir dans son lit, pas sur le divan! Et s'il la découvrait et décidait de lui retirer ses présents?
Emma ne bougea donc pas. Mais un détail la trahit : ses orteils sortaient légèrement de la couverture. Le père Noël, s'avouant vaincu, sourit et s'avança vers elle, le pas lourd, le bedon bien rebondi. Il s'assit à ses côtés et poussa un soupir de soulagement. Il était épuisé. Tous ces cadeaux qu'il avait déposés sans jamais s'arrêter l'avaient exténué et il n'avait plus 20 ans. Il prit une grande respiration et s'adressa à la fillette :
- Alors, ma petite Emma... comme ça, on ne dort pas dans son lit?
Tranquillement, la petite retira la couverture de son visage, dégageant en premier ses yeux pour jauger l'expression du père Noël, mais dès qu'elle vit son air candide et souriant, elle se découvrit totalement et lui offrit son plus beau sourire, auquel il manquait une dent. Ses yeux brillaient, animés par la magie qui s'ouvrait devant elle.
- C'est donc vous?
- Bien sûr que c'est moi! Qui veux-tu que ce soit d'autre?
- Je sais pas... Mais en toutes ces années, je ne vous avais jamais rencontré.
- Tu sais, c'est parce que je passe ici à minuit et que tout le monde dort dans ta maison. Il y a des enfants chez qui je vais plus tard et qui ont l'occasion de me voir chaque année. Toi, c'est au petit matin que tu vois que je suis passé.
Elle le regarda avec amour, laissant passer quelques minutes de silence, puis, coquine, lui demanda :
- Alors, ils étaient bons?
- Pardon?
- Mes biscuits, ils étaient bons?
- Parmi les meilleurs du monde! déclara le père Noël convaincu et convaincant. Et je sais de quoi je parle!
Emma se sentit envahie d'une grande fierté. Son papa était un chef, un vrai chef pâtissier, et ses biscuits ne manquaient ni de saveurs, ni de douceurs.
- Chaque année, c'est ici que je me régale le plus... déclara le père Noël. Mais c'est aussi ici que j'ai le plus mal au ventre, ajouta-t-il en grimaçant.
Emma scruta les boutons tirés sur son ventre et, poussée par une franchise parfois un peu traîtresse, ne put s'empêcher de lui dire :
- Je crois que vous êtes un peu trop gros père Noël.
Amusé par cette vérité qui sort de la bouche des enfants, père Noël soupira un bon coup.
- Je le sais, petite, je le sais. Et voilà bien mon problème... Tu sais que je visite des millions et des millions d'enfants dans le monde en l'espace d'une seule nuit?
La fillette acquiesça. Bien sûr qu'elle savait tout ça. Le père Noël fit la moue.
- Voilà bien mon problème... Tous les enfants sont comme toi. Ils me laissent des biscuits avec amour, espérant bien que je les mangerai. Et que penseraient-ils si ce n'était pas le cas? Ils croiraient que je n'aime pas leur pâtisserie et ils seraient très tristes. Et chaque année, ils sont de plus en plus généreux. Alors, je mange tout. À l'époque, on me laissait un petit biscuit sec et un mini verre de lait. Aujourd'hui, il y a toujours plusieurs biscuits, des gâteaux aux fruits, des beignes et un grand verre de lait à chaque maison. Mon ventre n'en peut tout simplement plus. Je dois me faire vieux.
Emma s'assit afin d'être plus à l'aise pour parler au père Noël. Elle afficha un air sérieux et convaincu. La fillette avait une grande confiance en elle.
- Vous savez père Noël, vous pourriez trouver une solution...
- Ah oui, et laquelle? demanda-t-il septique en flattant sa barbe.
La fillette songea quelques instants.
- Vous savez sans doute, puisque vous voyagez partout dans le monde, qu'il y a plein d'enfants qui souffrent de la faim, des maisons si pauvres que les gens ne trouvent pas de quoi manger.
- Ah, ça, fillette, c'est bien vrai!
- Ben alors, le problème est réglé!
Son visage s'illumina sous l'effet de la solution qu'elle venait de trouver.
Le père Noël sourcilla, ne sachant pas trop où elle voulait en venir.
- Père Noël, vous n'avez qu'à prendre avec vous tous les gâteaux, les biscuits et les sucreries qu'on vous laisse et les déposer sous le sapin des enfants les plus pauvres. Ceux qui les ont laissés n'en sauront rien et les autres pourront s'en régaler.
À son tour, le père Noël agrandit ses yeux, comme s'il venait d'être témoin de l'idée du siècle. Adieu les maux de ventre, le dos qui tire sous l'effet d'un bedon beaucoup trop rond, les vêtements qui craquent, n'arrivant plus à englober une masse si large et... surtout, adieu flatulences, pets et prouts! Le père Noël allait enfin être à l'aise pour faire sa tournée.
- Mais il y a mieux! déclara Emma en replaçant ses longs cheveux blonds bouclés. Vous savez, comme ma mère est mariée à un pâtissier et qu'elle a elle-même le bec très sucré, un jour, elle s’est rendue compte qu’elle commençait à manquer d’énergie... Elle était très malheureuse puisqu'elle n’était pas capable de s’amuser autant avec moi. Elle se sentait toujours fatiguée et elle devenait même un peu impatiente avec moi aussi. Elle n'arrivait pas à faire toutes les corvées qu'impose le rôle de maman... Hé bien, vous savez ce qu'elle a fait?
- Non? demanda naïvement le père Noël.
- De l'exercice! Tout simplement, tous les jours et elle a retrouvé la forme de ses 20 ans!
Mais le père Noël, qui avait bien peu de temps pour faire du sport, fronça les sourcils, dubitatif.
- Dis-moi... petit sac à malices. Toi qui sembles avoir réponse à tout, comment crois-tu qu'un père Noël aussi occupé que moi peut trouver le temps de se remettre en forme?
- Père Noël, tout est une question de priorité, de volonté et de bonnes idées...
Elle prit une pause, fixa le sapin de Noël et fut frappée par un éclair de génie, comme ceux qu'elle avait souvent.
- Quand vous êtes sur la terre ferme, courrez à côté du traîneau! Ça fera une pause à vos rennes et vous ragaillardira! Vous n'aurez qu'à y monter quand vous parcourez de longues étendues ou des océans. Mais d'une porte à l'autre, pas besoin de votre chariot. Marchez! Et quand vous trouverez des maisons avec des cheminées, escaladez-les!
- Bonne idée, petite, bonne idée! Mais aurais-je le temps de faire toute ma tournée?
- Calculez le temps que ça vous prend pour remonter dans votre chariot à chaque fois pour passer d'une maison à l'autre, je suis certaine que c'est plus rapide à pied.
- C'est sûrement vrai, Emma. Et de toute façon, mes rennes sont plus lents maintenant... C'est peut-être l'effet de mon poids de plus en plus lourd qui les affecte? ... Et quand j'aurai faim, qu'est-ce que je ferai? s'inquiéta-t-il une dernière fois.
- Vous allez en France, non?
- Oui, pourquoi!?
- Les Français ne laissent pas des biscuits sous l'arbre, mais des oranges, dit Emma. Faites-en provision et quand vous aurez une baisse d'énergie, vous pourrez croquer dans une orange vite fait. Rien ne vous empêche de prendre une bouchée de biscuits de temps en temps, mais tout est une question de dosage, dit-elle en lui faisant un clin d'oeil.
- Mais tu as donc réponse à tout, petite! Tu as vraiment 7 ans? T'es certaine?
- Absolument certaine!
Les deux s'échangèrent un regard complice et le père Noël se leva.
- Emma, je te remercie, du fond du coeur... Et je te fais une promesse. On se rencontre ici, dans un an, et je te promets que ce ne sauront pas mes prouts bruyants qui te réveilleront!
Emma éclata de rire et regarda le père Noël partir. Elle espérait qu'il se remettrait en santé bien vite. On avait tellement besoin de lui aux quatre coins du monde!
Chose certaine, Emma n'allait jamais vivre un autre Noël aussi magique...
Violaine Dompierre, éditrice Canal Vie