Une infirmière atteinte de la COVID-19 se confie : « Ne pas l'attraper aurait été un miracle »
« Je pense qu’on a sous-estimé l’ennemi au début, vraiment », lance Chantale (nom fictif) entre deux quintes de toux. Pourtant, l’infirmière en chef qui a appris qu’elle était atteinte de la COVID-19 * il y a 14 jours n’a qu’une seule hâte : retourner au travail afin d’aider et de soutenir les troupes.
Rencontre (virtuelle) avec une battante de la première ligne qui mène deux combats de front.
« Si je ne l’attrape pas, ça va être un miracle »
« As-tu du temps pour qu’on discute? », que je demande à Chantale avant de rire nerveusement de l’absurdité de ma question. Si elle a du temps? Chantale n’a que cela depuis qu’elle a été testée positive à la COVID-19, il y a deux semaines maintenant.
Infirmière-chef d’un département de pneumologie et de cardiologie, c’est elle qui avait incité son équipe à se préparer mentalement, au début de la crise, à ce qui allait suivre. Et cela s’est passé rapidement : on a utilisé le département de chirurgie pour placer les patients COVID positifs et le tiers de son département pour faire du dépistage. En une vitesse record, on a posé portes, vitres et panneaux de coroplast pour ériger des murs de fortune. Mais l’ennemi est sournois et les précautions, selon elle, ont été mises sur place un peu trop tardivement...
« Je pense qu’il aurait fallu être plus rapide pour prendre plus de précautions, pour porter des masques et des visières. Les gens qui travaillent et sont en contact direct avec les patients auraient dû se faire dire de porter des masques dès le tout début, d’être plus proactifs. J’avoue que je regrette un peu qu’on n’ait pas pris les devants plus rapidement. Peut-être qu’il y aurait aujourd'hui moins d’employés et de patients malades. On dirait que le message ne se passe pas dans le réseau… »
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Comme elle n’avait plus accès à son bureau, Chantale travaillait au poste des infirmière. « Nous avions des masques, on se lavait les mains et tout, mais je me disais quand même : si je ne l’attrape pas, ça va être un miracle ».
Quelques médecins ont d’abord été infectés, puis sont arrivés quelques patients en dépistage ou déclarés positifs. On a ensuite décidé de dépister plusieurs patients asymptomatiques (environ 55% se sont avérés positifs), puisque de plus en plus de travailleurs de la santé furent déclarés positifs.
C’est donc enfermée dans sa chambre, à l’écart de sa famille, que Chantale combat pour le moment le virus. Heureusement, elle avait prévu le coup et avait fait une grosse épicerie, en plus de se procurer un lit de camp pour elle ou son mari (qui travaille aussi en santé) si l’un d’eux venait a être infecté.
Un quotidien bien solitaire
« Au début, j’ai commencé à tousser un peu, j’avais l’impression que je faisais de la température », dit-elle quant à ses premiers symptômes du coronavirus. « Je me suis trouvé un petit coin tranquille et j’ai pris ma température, qui était correcte. À mon retour à la maison à vélo, j’avais vraiment le visage chaud et rouge alors j’ai repris ma température et j’en faisais. Je suis donc allée me faire dépister ».
Ce premier test de dépistage s’est avéré négatif. « Mais comme je faisais de la température et que je toussais, je me suis mise en isolement quand même, car je ne voulais pas courir de risque. Je ne croyais pas à ce test négatif ».
C’est en retournant se faire dépister le dimanche suivant que le test a été déclaré positif.
« Je considère que somme toute, je n’ai pas été très malade », confie-t-elle. « J’ai fait de la température et je n’ai presque rien eu d’autre. Présentement, j’ai perdu le goût et l’odorat, mais je parle avec des gens qui me disent dormir toute la journée ou devoir faire des siestes aux 2-3 heures, ce qui n’est pas mon cas. C’est sûr que les 48 premières heures, j’étais plus fatiguée, j’ai fait des siestes, mais sans plus ».
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Depuis son test positif, son mari fait du télétravail et ses fils - l’un travaille dans une pharmacie et l’autre dans un restaurant encore ouvert à la livraison - se sont fait dire par leurs employeurs de rester à la maison.
« Le mot se passe vite », dit celle qui garde contact avec ses employés par courriels et messages texte. « Je dois vraiment rester la plupart du temps dans ma chambre. Je mange dans ma chambre. J’y passe tout mon temps. J’y regarde beaucoup de télé, je me couche assez tard, je me lève vers 9h, je déjeune tranquillement. Je fais parfois un peu d’entraînement quand j’ai besoin de bouger et pour m’aider au niveau du moral, car j’ai fait de l’anxiété à quelques reprises, un peu d’hyperventilation. J’ai aussi fait tout le ménage dans mes bureaux et mes papiers ».
Les rares fois où elle sort de sa chambre, Chantale doit porter un masque, se ternir à bonne distance des membres de sa famille et désinfecter tout ce qu’elle touche - ce qu’elle faisait avant même d’être déclarée positive.
Ses fils « prennent bien cela, même s’ils trouvent cela plate de ne pas pouvoir aller travailler ». L’un suit ses cours en ligne, l’autre trouve le temps long. Les deux attendent que cela passe. « Ils savent que ce n’est pas de ma faute », dit la maman qui garde généralement le moral.
« Je trouve cela difficile, car j’aime bouger et je vais souvent travailler à vélo, ma saison était commencée. Je trouve difficile de ne pas pouvoir sortir de ma chambre. De lire mes courriels et de voir que c’est vraiment difficile à l’hôpital, qu’il manque de personnel, car il y a beaucoup de monde de malade. Je me sens loin de ma gang, ce n’est pas facile de ne pas pouvoir m’occuper d’elle. Je garde tout de même le contact avec mes employés infectés ».
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Le jour de notre entretien, Chantale venait d’apprendre que son plus récent test de dépistage était toujours positif, donc qu’elle ne peut pas encore retourner travailler.
« J’étais un peu découragée ce matin en sachant cela », avoue-t-elle. « Je dois attendre encore une semaine avant d’être testée à nouveau. Je suis quelqu’un de vraiment pragmatique, donc lorsque j’ai été déclarée positive la première fois je me disais : si je l’ai, je l’aurai - j’ai quand même une bonne santé. Je ne me suis pas fait de scénario que j’allais mourir. Ça m’a plus dérangé aujourd’hui de savoir que j’étais toujours positive que les deux dernières fois, en fait. Dans ma tête, je retournais travailler demain, je retournais donner un coup de main. Disons que je suis restée assise dans mon lit quand j’ai eu la nouvelle, je ne pouvais pas le croire ».
« Je n’ai pas le choix, il faut que j’attende », ajoute celle qui appréhende un peu l’après-COVID.
« Je sens qu’après mon confinement, les gens vont faire un peu comme "yerck, tu as eu la COVID?!". C’est sûr qu’on va en avoir pour un bout à garder le 2 mètres et tout, mais disons en août quand on va en reparler et que je vais dire que j’ai eu la COVID, je trouve que le cerveau du monde est tellement primaire quand on parle de cela que j’ai peur de me faire un peu ostraciser. Y aura-t-il plus un capital de sympathie parce que je travaille dans un hôpital? Je ne le sais pas ».
Lorsque je lui demande s’il y a beaucoup d’autres infirmiers(ères) atteint(e)s dans son hôpital, elle me lance : « C’est terrible, terrible, terrible! C’est effrayant, ça n’arrête pas. Je reçois des tonnes de courriels et il manque de monde. Mon équipe de jour a grandement été touchée, mon équipe de soir aussi. Ce matin, j’ai su que plusieurs employés qui devaient se faire retester pour savoir s’ils pouvaient recommencer à travailler sont, eux aussi, toujours positifs ».
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« On travaille vraiment dans des situations difficiles », poursuit-elle. « Ça change tout le temps, mais de façon surprenante, les gens sont vraiment disponibles et ne sont pas à cheval sur leurs principes. Tout le monde comprend. Il y a une belle solidarité. Je sais qu’il y a des employés qui ont hâte de retourner travailler pour donner un coup de main aux équipes qui sont là ».
C’est d’ailleurs, infiniment, son cas.
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