On est tenté de lancer des pierres ici et là. La situation commence à nous peser de plus en plus. L’école publique a laissé de très nombreux jeunes dans un flou total, les privant de leur vie sociale et de leurs activités qui les passionnent. Comme parents, on manque d’oxygène, même si on effectue de longues marches quotidiennes… C’est qu’il est quasi impossible de penser à demain, comme si demain sera éternellement comme aujourd’hui.
Les adolescents sont les grands oubliés de la pandémie de la COVID-19, c’est vrai. Mais, je n’oserais pas blâmer qui que ce soit. Car même dans ma maison, c’est un peu ce qui s’est passé.
Dormir, ce n’est pas la fin du monde, sauf que…
Dans les faits, je n’ai pas vraiment oublié mes deux adolescentes, pas totalement! On discute tous les jours à l’heure des repas, je leur demande si elles vont bien, si elles s’ennuient de leurs amies. Les réponses sont toujours brèves et on passe à un autre sujet.
La réalité, c’est que des ados, c’est pas mal autonome et en plus, c’est silencieux.
Alors, lorsque la COVID-19 nous est tombée sur la tête et que l’on a dû gérer le télétravail, la gestion des ordis, les deux plus jeunes, qui, elles, se chicanent et peuvent même crier très forts… la trousse du MÉES, le vide, le trop-plein… les hauts et les bas… eh bien, nos deux ados qui dorment, qui lisent, et qui ne font pas de bruit… on les a laissées un peu à elles-mêmes, on a laissé les choses aller. Après tout, elles avaient travaillé drôlement fort depuis septembre, elles s’étaient levées tôt, coucher tard pour étudier et faire leurs travaux… alors quelques semaines à faire la grasse matinée, ce n’était pas la fin du monde. Cependant, les quelques semaines se sont transformées en mois. Et le retour à l’école n’est plus devenu une option. Effectivement, dormir ce n’était pas la fin du monde… mais peut-être la fin d’un monde?
Vider son casier avec interdiction de socialiser
En les accompagnant pour qu’elles vident leur casier à leur école secondaire, 15 minutes top chrono, je les ai vues de loin pour une première fois après ces quelques semaines de confinement. Mes filles qui sortaient avec un sac à dos rempli, avec d’autres sacs à bout de bras, alors que je ne pouvais pas aller les aider, pas tout de suite. Les parents ne pouvaient pas s’approcher de l’école, on devait les attendre dans le stationnement. Ma fille de 12 ans avait incroyablement grandi depuis son entrée au secondaire, grandi physiquement, mais psychologiquement également. Ma fille de 14 ans avait pris une belle assurance, dorénavant en 3e secondaire.
Même si mes filles sont des adolescentes des plus normales, il n’y avait dans cette situation, rien de normal. Tout comme cette longue liste de consignes reçues auparavant pour aller chercher le matériel scolaire qui indiquait, entre autres, qu’aucune socialisation ne serait acceptée. Aucune socialisation? Je comprends la consigne, elle servait à éviter les rassemblements. Mais tout de même, ces mots écrits noir sur blanc sont à l’opposé de ce que doit être la vie.
Et alors que mes filles ressortaient de leur école, j’ai pris conscience de ce qu’elles vivaient, de ce qu’elles venaient de vivre.
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Passer plus de deux mois en confinement
2 mois à l’adolescence, c’est un peu comme l’éternité : 2 mois à être coupés de tout le monde, à tourner en rond, au sens propre et figuré. À s’être fait dire d’abord que c’était des vacances, à n’avoir reçu pratiquement aucune nouvelle de l’école pendant près de 3 semaines, puis à recevoir une trousse du MÉES, bonifiée par les enseignants, de plus d’une cinquantaine de pages à démêler. À recevoir de nombreuses propositions d’activités dans chacune des matières, mais en se faisant dire que rien n’est obligatoire, que tout est facultatif, mais qu’enfin, c’est fortement recommandé, en fait, chacun peut choisir selon ses intérêts… Ouf, c’est étourdissant! J’ai 40 ans, avec une certaine expérience de la vie, et pourtant, lorsque je regarde tout ça, je manque d’oxygène. Comment fait-on pour avancer, alors qu’il n’y a rien de clair?
S'habituer à une nouvelle vie
Le confinement s’avère difficile pour tout le monde, pour les adolescents tout autant, même s’ils sont silencieux, même s’ils vivent tout ça par en dedans. Les ados ont une facilité à s’enfermer, mais habituellement, l’école les oblige à sortir de leur caverne. Ils y rencontrent des amis, souvent, qui le resteront pour la vie, mais aussi des gens inspirants : des enseignants, des entraineurs, des techniciens en loisirs… Bref, toutes sortes d’adultes significatifs.
La pandémie de la COVID-19 les a confinés à leur chambre où ils se sentent bien pour la plupart. Ils n’y sont pas malheureux, mais ils ne sont pas nourris de rencontres qui changent une vie; comme s’ils s’éteignaient lentement de l’intérieur. Pourtant, à l’adolescence, alors que l’on doit prendre des décisions sur l’orientation de sa vie, ces rencontres s’avèrent cruciales, essentielles.
Je suis pleine d’admiration pour mes ados, pour tous les ados qui avancent comme ils peuvent à travers toutes ces ambiguïtés, et aussi à travers les multiples déceptions. Le bal de finissant qui n’aura pas lieu, mais également tous ces tournois de hockey, de volleyball, les spectacles de fin d’année. Bref, tous ces petits moments qui signifient que l’on passe à une autre étape… La prochaine étape n’est d’ailleurs pas très claire. Malgré tout, les adolescents sont pour la plupart résilients et acceptent la situation.
D’ailleurs, ils sont nombreux à s’être trouvé leur propre structure, à avoir retrouvé une façon de vivre, en se trouvant un emploi, en faisant du bénévolat ou en développant de nouvelles passions.
Toutefois, il ne faut pas les oublier pour autant.
Un message qui se clarifie du côté de l’école, un peu trop tard?
Du côté de l’école, le message se clarifie, alors que le MÉES mentionne aux adolescents qu’ils doivent prioriser leur apprentissage scolaire. Des cours virtuels sont maintenant à l’horaire pour la majorité des jeunes à travers le Québec et les professeurs enseignent de nouvelles notions essentielles à chaque niveau scolaire. Mais, n’est-ce pas un peu tard?
Rappelons-nous que ce sont ces mêmes jeunes qui occupent de nombreux emplois essentiels. Ce sont eux que l’on croise à l’épicerie; d’autres travaillent dans les champs, ou dans les centres pour ainés. Pour tous ces adolescents, leurs études doivent, en effet, être priorisées, mais il est difficile de remettre tout ça à l’avant-plan après les deux derniers mois de chaos dans l’univers du système d’éducation public. Le travail leur a offert davantage de stabilité et ils se sentent utiles dans ces divers emplois, sans parler des nombreux apprentissages qui y sont reliés. Évidemment, il faudra rééquilibrer le tout dans les mois à venir, mais pour l’instant, peut-être doit-on faire confiance à ces jeunes qui sont pour plusieurs sur la ligne de front…
Alors, même si dorénavant plusieurs écoles secondaires proposent un semblant d'encadrement scolaire, il ne s’agit pas d’une solution optimale, pas à long terme. Il faut repenser notre monde, pour cohabiter avec la COVID-19, tout en s’assurant que nos ados ne voient pas des humains uniquement à travers un écran. On est à un tournant, la vie ne reprendra pas comme avant de sitôt, mais la vie doit reprendre. On peut vivre différemment. Les adolescents doivent continuer à apprendre, mais surtout à faire des rencontres qui donnent un sens à leur vie. La socialisation ne doit plus jamais être interdite, elle doit être fortement recommandée, pour le bien-être de tous et pour que nos adolescents soient des humains qui s’accomplissent aujourd’hui et demain.
Bref, il ne sert à rien de lancer des pierres à qui que ce soit. Il vaut mieux les conserver pour construire un nouveau monde. On en a tous besoin.