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Elles sont est un balado original de Noovo Moi qui donne la parole à des personnes ayant pour point commun d'avoir des parcours atypiques et parfois souffrants. Cet article se veut un complément de l'épisode 4 qui cède la parole à des anciennes travailleuses du sexe.
Merci infiniment à l'animatrice Mélissa Bédard et à ses deux invitées, Emmanuelle et Mélodie.
Est-ce que c’est payant, d’être travailleuse du sexe? Les deux femmes répondent d’emblée que oui, ça peut l’être. Pour les deux invitées cependant, il y a des bémols à apporter, par exemple liés aux frais investis pour récolter cet argent (autant la publicité, la gestion, la location d’endroits, les vêtements et traitements, etc.). Mélodie explique que dans son cas, «elle a fait beaucoup d’argent rapidement, mais pas facilement».
Un point fort intéressant qu’elles apportent, c’est aussi que gagner ce type d’argent vient aussi souvent avec un réflexe de «dépense facile». Emmanuelle remarque qu’à cause d’une certaine adrénaline, voire même une frénésie suite à ces rencontres et à l’argent qui en ressortait, elle avait souvent tendance à le dépenser très vite et sans réfléchir.
Mélodie a également vécu cet effet et s’était même déjà fait la réflexion que ces dépenses étaient probablement liées au fait qu’elle se sentait coupable de pratiquer ce métier. Inconsciemment, elle ne se sentait pas capable de garder cet argent, ou en tout cas de le garder pour elle.
Pour les deux femmes, pratiquer ce métier n’était pas difficile. Mélodie commence, à la blague, en parlant du fait d’être toute nue, d’être dans un lit toute la journée et de faire son propre horaire. Mais elle enchaîne également sur le fait de donner un moment de plaisir pour l’autre. Pour elle, le fait d’en arriver à une meilleure connaissance des hommes était très important. En effet, elle avait commencé ce métier surtout à cause d’une curiosité face à la sexualité, mais tout en ayant une mauvaise image des hommes… Par la suite, elle s’est réellement mise à apprécier des moments d’une grande vulnérabilité avec eux, et est toujours émue de cette impression de les avoir découverts, de mieux comprendre leurs attentes ainsi que leurs déceptions.
Emmanuelle était d’accord avec cette affirmation, ajoutant qu’elle aimait beaucoup cet aspect d’écoute, de ne jamais savoir quelle discussion elle pourrait survenir avec les clients, comment va se jouer la chimie avec la personne ou quelles confidences elle pourrait recevoir.
Les deux invitées n’ont jamais eu peur pour leur sécurité. Par contre, elles sont aussi conscientes d’avoir eu de la chance. C’est très important pour elles de montrer qu’elles ne sont pas des victimes, qu’elles ont fait ce métier par choix et qu’elles l’ont apprécié.
Par contre, elles savent que ce ne sont pas toutes les travailleuses du sexe qui sont dans cette situation. Par exemple, elles n’étaient pas dans la rue ou dans une position très vulnérable, elles n’étaient pas sous l’emprise de quelqu’un. Elles n’avaient pas non plus de problème de consommation et ont toujours été capables d’établir leurs propres limites.
Mélodie, plus que tout, souhaiterait la décriminalisation complète du travail du sexe, comme par exemple en Nouvelle-Zélande où tout enjeu de sécurité est une question de normes du travail.
Pour elle, tant qu’on est encore dans le débat «pour ou contre le travail du sexe», on évacue l’aspect des conditions de travail. Mais une fois que l’on aura admis qu’il s’agit d’un travail légitime, on pourra se concentrer plus sur les enjeux de sécurité.
Emmanuelle a quitté le métier graduellement, à mesure qu’elle s’est investi dans une relation de couple avec une personne significative. Elle a trouvé cela difficile d’abord du point de vue professionnel: elle avait «un trou dans son CV», a dû accepter une rémunération moindre. En retournant sur le marché du travail «normal», elle pense souvent au fait que «les hommes qui sont tes clients sont souvent très bien intégrés dans la société, alors que les travailleuses du sexe sont marginalisées» et ces dernières portent le fardeau de la responsabilité.
Au point de vue amoureux, elle a également trouvé difficile de retrouver un «mode de vie monogame», mais aussi le fait de devoir «déconstruire sa sexualité». Les habitudes acquises par son travail de travailleuse du sexe avaient rendue sa sexualité très performative, et ça a été un ajustement de revenir à une certaine forme de vulnérabilité et de spontanéité. Quitter le métier l’a également poussée à se demander «ce qu’elle-même voulait, ce qu’elle-même désirait», comparé à mettre l’accent sur le plaisir de l’autre.
Mélodie, qui a maintenant deux enfants, a également trouvé la sortie du métier difficile. Elle a quitté «de façon drastique» parce qu’elle avait commencé une relation. Pour elle, son départ a donc été «contraint» et son conjoint sait que si elle n’était plus avec lui, elle retournerait probablement au métier. Elle n’apprécie pas, par exemple, le fait de ne plus avoir d’indépendance financière. Elle se sentait bien et valorisée en faisant ce métier.
Elles sont est un projet qui nous a énormément tenu à cœur comme équipe éditoriale, parce que nous considérons que ce sont des réalités difficiles, mais qu'il demeure nécessaire d'en parler.
Depuis le début du projet et avant même sa réalisation, nous l’avons porté avec amour et espoir. Mais même en sachant à quoi nous attendre, nous avons été renversées par la puissance des épisodes. Ceci est dû d’une part à l’animation si fine, sensible, empathique et intelligente de Mélissa Bédard. Nous n’aurions pas pu choisir une meilleure personne pour piloter ce projet particulier! Mais c’est également dû aux personnes invitées si pertinentes, éloquentes et attachantes, qu’on aurait toutes envie de prendre dans nos bras. Loin d’être des victimes, elles présentent chacune à leur façon un modèle de courage et de résilience.
Elles sont est une série magistrale, que tout le monde devrait écouter sans faute et dont nous sommes extrêmement fières.
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